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L’épouse, irritée. ─ Eh ! bien, adieu, ma petite. (La jeune affligée sort.) Ferdinand, vous me payerez ce mot-là.

L’époux (sur le boulevard Italien). ─ Mon cher (il tient monsieur de Fischtaminel par le bouton du paletot), vous en êtes encore à croire que le mariage est basé sur la passion. Les femmes peuvent, à la rigueur, aimer un seul homme, mais nous autres !… Mon Dieu, la Société ne peut pas dompter la Nature. Tenez, le mieux, en ménage, est d’avoir l’un pour l’autre une indulgence plénière, à la condition de garder les apparences. Je suis le mari le plus heureux du monde. Caroline est une amie dévouée, elle me sacrifierait tout, jusqu’à mon cousin Ferdinand, s’il le fallait… oui, vous riez, elle est prête à tout faire pour moi. Vous vous entortillez encore dans les ébouriffantes idées de dignité, d’honneur, de vertu, d’ordre social. La vie ne se recommence pas, il faut la bourrer de plaisir. Voici deux ans qu’il ne s’est dit entre Caroline et moi le moindre petit mot aigre. J’ai dans Caroline un camarade avec qui je puis tout dire, et qui saurait me consoler dans les grandes circonstances. Il n’y a pas entre nous la moindre tromperie, et nous savons à quoi nous en tenir. Nos rapprochements sont des vengeances, comprenez-vous ? Nous avons ainsi changé nos devoirs en plaisirs. Nous sommes souvent plus heureux alors que dans cette fadasse saison, appelée la lune de miel. Elle me dit quelquefois : ─ Je suis grognon, laisse-moi, va-t’en. L’orage tombe sur mon cousin. Caroline ne prend plus ses airs de victime, et dit du bien de moi à l’univers entier. Enfin ! elle est heureuse de mes plaisirs. Et, comme c’est une très-honnête femme, elle est de la plus grande délicatesse dans l’emploi de notre fortune. Ma maison est bien tenue. Ma femme me laisse la disposition de ma réserve sans aucun contrôle. Et voilà. Nous avons mis de l’huile dans les rouages ; vous, vous y mettez des cailloux, mon cher Fischtaminel. Il n’y a que deux partis à prendre : le couteau du More de Venise, ou la besaiguë de Joseph. Le turban d’Othello, mon cher, est très-mal porté ; ce n’est qu’un turc de carnaval ; moi, je suis charpentier, en bon catholique.

Chœur, dans un salon au milieu d’un bal. ─ Madame Caroline est une femme charmante !

Une femme à turban. ─ Oui, pleine de convenance, de dignité.

Une femme qui a sept enfants. ─ Ah ! elle a su prendre son mari.