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Après avoir passé par tous les duos, les solos, les strettes, les coda, les morceaux d’ensemble, les duettini, les nocturnes, les phases que ces quelques scènes, prises dans l’océan de la vie conjugale, vous indiquent, et qui sont des thèmes dont les variations auront été devinées par les gens d’esprit tout aussi bien que par les niais (en fait de souffrances, nous sommes tous égaux !) la plupart des ménages parisiens arrivent, dans un temps donné, au chœur final que voici :

L’épouse, à une jeune femme qui en est à l’été de la Saint-Martin conjugale. ─ Ma chère, je suis la femme la plus heureuse de la terre. Adolphe est bien le modèle des maris : bon, pas tracassier, complaisant. N’est-ce pas, Ferdinand ?

(Caroline s’adresse au cousin d’Adolphe, jeune homme à jolie cravate, à cheveux luisants, à bottes vernies, habit de la coupe la plus élégante, chapeau à ressorts, gants de chevreau, gilet bien choisi, tout ce qu’il y a de mieux en moustaches, en favoris, en virgule à la Mazarin, et doué d’une admiration profonde, muette, attentive pour Caroline.)

Le Ferdinand. ─ Adolphe est si heureux d’avoir une femme comme vous ! Que lui manque-t-il ? Rien.

L’épouse. ─ Dans les commencements, nous étions toujours à nous contrarier ; mais maintenant nous nous entendons à merveille. Adolphe ne fait plus que ce qui lui plaît, il ne se gêne point ; je ne lui demande plus ni où il va ni ce qu’il a vu. L’indulgence, ma chère amie, là est le grand secret du bonheur. Vous en êtes encore aux petits taquinages, aux jalousies à faux, aux brouilles, aux coups d’épingles. À quoi cela sert-il ? Notre vie, à nous autres femmes, est bien courte ! Qu’avons-nous ? dix belles années ! Pourquoi les meubler d’ennui ? J’étais comme vous ; mais, un beau jour, j’ai connu madame Foullepointe, une femme charmante, qui m’a éclairée et m’a enseigné la manière de rendre un homme heureux… Depuis, Adolphe a changé du tout au tout : il est devenu ravissant. Il est le premier à me dire avec inquiétude, avec effroi même, quand je vais au spectacle et que sept heures nous trouvent seuls ici : ─ Ferdinand va venir te prendre, n’est-ce pas ? N’est-ce pas, Ferdinand ?

Le Ferdinand. ─ Nous sommes les meilleurs cousins du monde.

La jeune affligée. ─ En viendrais-je donc là ?…

Le Ferdinand. ─ Ah ! vous êtes bien jolie, madame, et rien ne vous sera plus facile.