Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/671

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Et qui donc ? ce ne peut être que Ferdinand, répond Caroline.

— Et il se fait attendre…

— Il est malade, le pauvre garçon.

Une idée drôlatique passe par la tête d’Adolphe, et il répond en clignant d’un œil seulement : ─ Je viens de le voir.

— Où ?

— Devant le Café de Paris, avec des amis…

— Mais pourquoi reviens-tu ? répond Caroline, qui veut déguiser une rage homicide.

— Madame Foullepointe, que tu disais ennuyée de Charles, est depuis hier matin avec lui à Ville-d’Avray.

— Et monsieur Foullepointe ?

— Il a fait un petit voyage d’agrément pour une nouvelle Affaire-Chaumontel, une jolie petite… difficulté qui lui est survenue ; mais il en viendra sans doute à bout.

Adolphe s’est assis en disant : ─ Ça se trouve bien, j’ai l’appétit de deux loups…

Caroline s’attable en examinant Adolphe à la dérobée : elle pleure en dedans ; mais elle ne tarde pas à demander d’un son de voix qu’elle a pu rendre indifférent : ─ Avec qui donc était Ferdinand ?

— Avec des drôles qui lui font voir mauvaise compagnie. Ce jeune homme-là se gâte : il va chez madame Schontz, chez les lorettes, tu devrais écrire à ton oncle. C’était sans doute quelque déjeuner provenu d’un pari fait chez mademoiselle Malaga… Il regarde sournoisement Caroline, qui baisse les yeux pour cacher ses larmes. Comme tu t’es faite jolie ce matin, reprend Adolphe. Ah ! tu es bien la femme de ton déjeuner… Ferdinand ne déjeunera certes pas si bien que moi… etc.

Adolphe manie si bien la plaisanterie, qu’il inspire à sa femme l’idée de punir Ferdinand. Adolphe, qui se donne pour avoir l’appétit de deux loups, fait oublier à Caroline qu’il y a pour elle citadine à la porte.

La portière de Ferdinand arrive sur les deux heures, au moment où Adolphe dort sur un divan. Cette Iris des garçons vient dire à Caroline que monsieur Ferdinand a bien besoin de quelqu’un.

— Il est ivre ? demande Caroline furieuse.

— Il s’est battu ce matin, madame.

Caroline tombe évanouie, se relève et court chez Ferdinand, en dévouant Adolphe aux dieux infernaux.