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dans ce charmant xviiie siècle, si calomnié par les républicains, les humanitaires et les sots, les femmes de qualité nommaient leur habit de combat.

Caroline a tout prévu. L’Amour est le premier valet de chambre du monde : aussi la table est-elle mise avec une coquetterie diabolique. C’est du linge blanc damassé, le petit déjeuner bleu, le vermeil, le pot au lait sculpté, des fleurs partout !

Si c’est en hiver, elle a trouvé des raisins, elle a fouillé la cave pour y découvrir des bouteilles de vieux vins exquis. Les petits pains viennent du boulanger le plus fameux. Les mets succulents, le pâté de foie gras, toute cette victuaille élégante aurait fait hennir Grimod de la Reynière, ferait sourire un escompteur, et dirait à un professeur de l’ancienne Université de quoi il s’agit.

Tout est prêt. Caroline, elle, est prête de la veille : elle contemple son ouvrage. Justine soupire et arrange les meubles. Caroline ôte quelques feuilles jaunies aux fleurs des jardinières. Une femme déguise alors ce qu’il faut appeler les piaffements du cœur par ces occupations niaises où les doigts ont la puissance des tenailles, où les ongles roses brûlent, et où ce cri muet râpe le gosier : ─ Il ne vient pas !…

Quel coup de poignard que ce mot de Justine : ─ Madame, une lettre !

Une lettre au lieu d’un Ferdinand ! comment se décachète-t-elle ? que de siècles de vie épuisés en la dépliant ! Les femmes savent cela ! Quant aux hommes, quand ils ont de ces rages, ils assassinent leurs jabots.

— Justine, monsieur Ferdinand est malade !… crie Caroline, envoyez chercher une voiture.

Au moment où Justine descend l’escalier, Adolphe monte.

— Pauvre madame ! se dit Justine, il n’y a sans doute plus besoin de voiture.

— Ah çà ! d’où viens-tu ? s’écrie Caroline en voyant Adolphe en extase devant ce déjeuner quasi voluptueux :

Adolphe, à qui sa femme ne sert plus depuis longtemps de festins si coquets, ne répond rien. Il devine ce dont il s’agit en retrouvant écrites sur la nappe les charmantes idées que, soit madame de Fischtaminel, soit le syndic de l’Affaire-Chaumontel, lui dessinent sur d’autres tables non moins élégantes.

— Qui donc attends-tu ? dit-il en interrogeant à son tour.