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Caroline devient pâle.

— Mais que madame se rassure, c’est une vieille femme…

— Ah ! Justine, il n’y a pas de vieilles pour certains hommes, les hommes sont inexplicables.

— Mais, madame, ce n’est pas une dame, c’est une femme, une femme du peuple.

— Ah ! Justine, lord Byron aimait à Venise une poissarde, c’est la petite madame Fischtaminel qui me l’a dit.

Et Caroline fond en larmes.

— J’ai fait causer Benoît.

— Eh bien ! que pense Benoît ?…

— Benoît croit que cette femme est une intermédiaire, car monsieur se cache de tout le monde, même de Benoît.

Caroline vit pendant huit jours dans l’enfer, toutes ses économies passent à solder des espions, à payer des rapports.

Enfin, Justine va voir cette femme appelée madame Mahuchet, elle la séduit, elle finit par apprendre que monsieur a gardé de ses folies de jeunesse un témoin, un fruit, un délicieux petit garçon qui lui ressemble, et que cette femme est la nourrice, la mère d’occasion qui surveille le petit Frédéric, qui paye les trimestres du collége, celle par les mains de qui passent les douze cents francs, les deux mille francs perdus annuellement au jeu par monsieur.

Et la mère ! s’écrie Caroline.

Enfin, l’adroite Justine, la providence de madame, lui prouve que mademoiselle Suzanne Beauminet, une ancienne grisette devenue madame Sainte-Suzanne, est morte à la Salpêtrière, ou bien a fait fortune et s’est mariée en province, ou se trouve placée si bas dans la société qu’il n’est pas probable que madame puisse la rencontrer.

Caroline respire, elle a le poignard hors du cœur, elle est heureuse ; mais si elle n’a que des filles, elle souhaite un garçon. Ce petit drame du soupçon injuste, la comédie de toutes les suppositions auxquelles la mère Mahuchet donne lieu, ces phases de la jalousie tombant à faux sont posés ici comme étant le type de cette situation dont les variantes sont infinies comme les caractères, comme les rangs, comme les espèces.

Cette source de petites misères est indiquée ici pour que toutes les femmes assises sur cette plage y contemplent le cours de leur vie conjugale, le remontent ou le descendent, y retrouvent leurs