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Caroline sourit.

— L’opinion de votre adorateur réduit cette grande misère à n’en être, en ce cas, comme dans le vôtre, qu’une très-petite.

— Une petite misère ! s’écria-t-elle, et pour quoi prenez-vous les ennuis de coqueter avec un monsieur de Lustrac, de qui je me suis fait un ennemi ! Allez ! les femmes paient souvent bien cher les bouquets qu’on leur donne et les attentions qu’on leur prodigue. Monsieur de Lustrac a dit de moi à monsieur de Bourgarel[1] : ─ Je ne te conseille pas de faire la cour à cette femme-là, elle est trop chère…





SANS PROFESSION.


Paris, 183…

« Vous me demandez, ma chère maman, si je suis heureuse avec mon mari. Assurément monsieur de Fischtaminel n’était pas l’être de mes rêves. Je me suis soumise à votre volonté, vous le savez. La fortune, cette raison suprême, parlait d’ailleurs assez haut. Ne pas déroger, épouser monsieur le comte de Fischtaminel doué de trente mille francs de rente, et rester à Paris, vous aviez bien des forces contre votre pauvre fille. Monsieur de Fischtaminel, enfin, est un joli homme pour un homme de trente-six ans ; il est décoré par Napoléon sur le champ de bataille, il est ancien colonel, et sans la Restauration, qui l’a mis en demi-solde, il serait général : voilà des circonstances atténuantes.

» Beaucoup de femmes trouvent que j’ai fait un bon mariage, et je dois convenir que toutes les apparences du bonheur y sont… pour la société. Mais avouez que, si vous aviez su le retour de mon oncle Cyrus et ses intentions de me laisser sa fortune, vous m’auriez donné le droit de choisir.

» Je n’ai rien à dire contre monsieur de Fischtaminel : il n’est pas joueur, les femmes lui sont indifférentes, il n’aime point le vin, il n’a pas de fantaisies ruineuses ; il possède, comme vous

  1. Le même Ferdinand de Bourgarel, que la politique, les arts et les amours ont eu la douleur de pleurer récemment, selon le discours prononcé sur sa tombe par Adolphe.