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causait de nous. J’étais enchantée ! J’arrivai bientôt à me faire surprendre par mon mari, le vicomte sur mon canapé, dans mon boudoir, me tenant les mains et moi l’écoutant avec une sorte de ravissement extérieur. C’est inouï ce que l’envie de nous venger nous fait dévorer ! Je parus contrariée de voir entrer mon mari, qui, le vicomte parti, me fit une scène : ─ Je vous assure, Monsieur, lui dis-je après avoir écouté ses reproches, que c’est purement moral. Mon mari comprit, et n’alla plus chez madame de Fischtaminel. Moi, je ne reçus plus monsieur de Lustrac.

— Mais, lui dis-je, Lustrac, que vous prenez, comme beaucoup de personnes, pour un célibataire, est veuf et sans enfants.

— Bah !

— Aucun homme n’a plus profondément enterré sa femme ; Dieu ne la retrouvera pas au jugement dernier. Il s’est marié avant la révolution, et votre purement moral me rappelle un mot de lui que je ne puis me dispenser de vous répéter. Napoléon nomma Lustrac à des fonctions importantes, dans un pays conquis : madame de Lustrac, abandonnée pour l’administration, prit, quoique ce fût purement moral, pour ses affaires particulières, un secrétaire intime ; mais elle eut le tort de le choisir sans en prévenir son mari. Lustrac rencontra ce secrétaire à une heure excessivement matinale et fort ému, car il s’agissait d’une discussion assez vive, dans la chambre de sa femme. La ville ne demandait qu’à rire de son gouverneur, et cette aventure fit un tel tapage que Lustrac demanda lui-même son rappel à l’Empereur. Napoléon tenait à la moralité de ses représentants, et la sottise selon lui devait déconsidérer un homme. Vous savez que l’Empereur, entre toutes ses passions malheureuses, a eu celle de vouloir moraliser sa cour et son gouvernement. La demande de Lustrac fut donc admise, mais sans compensation. Quand il vint à Paris, il y reparut dans son hôtel, avec sa femme ; il la conduisit dans le monde, ce qui, certes, est conforme aux coutumes aristocratiques les plus élevées ; mais il y a toujours des curieux. On demanda raison de cette chevaleresque protection ─ Vous êtes donc remis, vous et madame de Lustrac, lui dit-on au foyer du théâtre de l’Impératrice, vous lui avez tout pardonné. Vous avez bien fait. ─ Oh ! dit-il d’un air satisfait ; j’ai acquis la certitude… ─ Ah ! bien, de son innocence, vous êtes dans les règles. ─ Non, je suis sûr que c’était purement physique.