Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/625

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Oui, mais il s’enfuit à tire-d’aile dès que le chagrin point quelque part. Vous êtes en deuil, il vous fuit. Vous accouchez, il attend les relevailles pour venir vous voir : il est d’une franchise mondaine, d’une intrépidité sociale qui méritent l’admiration.

— Mais n’y a-t-il pas du courage à être ce qu’on est ? lui demandai-je.

— Eh bien ! reprit-elle après avoir échangé nos observations, ce jeune vieillard, cet Amadis-Omnibus, que nous avons nommé entre nous le chevalier Petit-Bon-Homme-vit-encore, devint l’objet de mes admirations.

— Il y avait de quoi ! un homme capable de faire à lui tout seul sa figure et ses succès !

— Je lui fis quelques-unes de ces avances qui ne compromettent jamais une femme ; je lui parlai du bon goût de ses derniers gilets, de ses cannes, et il me trouva de la dernière amabilité. Moi, je trouvai mon chevalier de la dernière jeunesse ; il vint me voir ; je minaudai, je feignis d’être malheureuse en ménage, d’avoir des chagrins. Vous savez ce que veut dire une femme en parlant de ses chagrins, en se prétendant peu comprise. Ce vieux singe me répondit beaucoup mieux qu’un jeune homme, j’eus mille peines à ne pas rire en l’écoutant. « Ah ! voilà les maris, ils ont la plus mauvaise politique, ils respectent leur femme, et toute femme est, tôt ou tard, furieuse de se voir respectée, et sans l’éducation secrète à laquelle elle a droit. Vous ne devez pas vivre, une fois mariée, comme une petite pensionnaire, etc. » Il se tortillait, il se penchait, il était horrible ; il avait l’air d’une figure de bois de Nuremberg, il avançait le menton, il avançait sa chaise, il avançait la main… Enfin, après bien des marches, des contre-marches, des déclarations angéliques…

— Bah !

— Oui, Petit-Bon-Homme-vit-encore avait abandonné le classique de sa jeunesse pour le romantisme à la mode ; il parlait d’âme, d’ange, d’adoration, de soumission, il devenait d’un éthéré bleu-foncé. Il me conduisait à l’Opéra et me mettait en voiture. Ce vieux jeune homme allait là où j’allais, il redoublait de gilets, il se serrait le ventre, il mettait son cheval au grand galop pour rejoindre et accompagner ma voiture au bois ; il me compromettait avec une grâce de lycéen, il passait pour fou de moi ; je me posais en cruelle, mais j’acceptais son bras et ses bouquets. On