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— Que si je me marie, j’aurai des enfants, dit la jeune personne.

— Eh bien ! je ne veux pas te peindre les choses en noir, mais il est extrêmement probable que chaque enfant te coûtera une dent. À chaque enfant, j’ai perdu une dent.

— Heureusement, lui dis-je, que chez vous cette misère a été plus que petite, elle a été minime (les dents perdues étaient de côté). Mais remarquez, mademoiselle, que cette petite misère n’a pas un caractère normal. La misère dépend de l’état de situation de la dent. Si votre enfant détermine la chute d’une dent, d’une dent cariée, vous avez le bonheur d’avoir un enfant de plus et une mauvaise dent de moins. Ne confondons pas les bonheurs avec les misères. Ah ! si vous perdiez une de vos belles palettes… Encore y a-t-il plus d’une femme qui échangerait la plus magnifique incisive contre un bon gros garçon ?

— Eh bien ! reprit-elle en s’animant, au risque de te faire perdre tes illusions, pauvre enfant, je vais t’expliquer une petite misère, une grande ! Oh ! c’est atroce ! Je ne sortirai pas des chiffons auxquels monsieur nous renvoie…

Je protestai par un geste.

— J’étais mariée depuis environ deux ans, dit-elle en continuant, et j’aimais mon mari ; je suis revenue de mon erreur, je me suis conduite autrement pour son bonheur et pour le mien ; je puis me vanter d’avoir un des plus heureux ménages de Paris. Enfin, ma chère, j’aimais le monstre, je ne voyais que lui dans le monde. Déjà, plusieurs fois, mon mari m’avait dit : ─ Ma petite, les jeunes personnes ne savent pas très-bien se mettre, ta mère aimait à te fagoter, elle avait ses raisons. Si tu veux me croire, prends modèle sur madame de Fischtaminel, elle a bon goût. Moi, bonne bête du bon Dieu, je n’y entendais point malice. Un jour, en revenant d’une soirée, il me dit : ─ As-tu vu comme madame de Fischtaminel était mise ? ─ Oui, pas mal. En moi-même, je me dis : Il me parle toujours de madame de Fischtaminel, il faut que je me mette absolument comme elle. J’avais bien remarqué l’étoffe, la façon de la robe et l’ajustement des moindres accessoires. Me voilà tout heureuse, trottant, allant, mettant tout en mouvement pour me procurer les mêmes étoffes. Je fais venir la même couturière. ─ Vous habillez madame de Fischtaminel ? lui dis-je. ─ Oui, madame. ─ Eh bien ! je vous prends pour ma