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trer dans un salon, pour désirer y aller. Rien n’est plus conforme aux habitudes du cœur humain. Les anciens avaient bien raison avec leurs gynécées. La collision des amours-propres de femmes qu’a produite leur réunion, qui ne date pas de plus de quatre siècles, a coûté bien des chagrins à notre temps et coûté de bien sanglants débats aux sociétés.

» Enfin, ma chère, Adolphe est bien fêté quand il revient chez lui ; mais aucune nature n’est assez forte pour attendre avec la même ardeur toutes les fois. Quel lendemain que celui de la soirée où il sera moins bien reçu !

» Vois-tu ce qu’il y a dans le pli dont je te parlais ? Un pli du cœur est un abîme comme un pli de terrain dans les Alpes : à distance, on ne s’en figurerait jamais la profondeur ni l’étendue. Il en est ainsi entre deux êtres, quelle que soit leur amitié. On ne soupçonne jamais la gravité du mal chez son amie. Ceci semble peu de chose, et néanmoins la vie en est atteinte dans toute sa profondeur et sur toute sa longueur. Je me suis raisonnée ; mais plus je me faisais de raisonnements, plus je me prouvais à moi-même l’étendue de cette petite douleur. Je me laisse donc aller au courant de la souffrance.

» Deux voix se disputent le terrain, quand, par un hasard encore rare heureusement, je suis seule dans mon fauteuil, attendant Adolphe. L’une, je le gagerais, sort du Faust d’Eugène Delacroix, que j’ai sur ma table. Méphistophélès parle, le terrible valet qui dirige si bien les épées, il a quitté la gravure et se pose diaboliquement devant moi, riant par la fente que ce grand peintre lui a mise sous le nez, et me regardant de cet œil d’où tombent des rubis, des diamants, des carrosses, des métaux, des toilettes, des soieries cramoisies et mille délices qui brûlent. ─ N’es-tu pas faite pour le monde ? Tu vaux la plus belle des plus belles duchesses ; ta voix est celle d’une sirène, tes mains commandent le respect et l’amour !… Oh ! comme ton bras chargé de bracelets se déploierait bien sur le velours de ta robe ! Tes cheveux sont des chaînes qui enlaceraient tous les hommes ; et tu pourrais mettre tous ces triomphes aux pieds d’Adolphe, lui montrer ta puissance et n’en jamais user ! Il aurait des craintes là où il vit dans une certitude insultante. Allons ! viens ! avale quelques bouffées de mépris, tu respireras des nuages d’encens. Ose régner ! N’es-tu pas vulgaire au coin de ton