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clercs de notaire jugèrent sans importance lors de l’inventaire de feu M. Ferdinand de Bourgarel, que la politique, les arts, les amours ont eu la douleur de pleurer récemment, et en qui la grande maison des Borgarelli de Provence a fini, car Bourgarel est, comme on sait, la corruption de Borgarelli, comme les Girardin français celle des Ghérardini de Florence.

Un lecteur intelligent reconnaîtra sans peine à quelle époque de la vie d’Adolphe et de Caroline se rapporte cette lettre.


« Ma chère amie,

« Je croyais me trouver heureuse en épousant un artiste aussi supérieur par ses talents que par ses moyens personnels, également grand et comme caractère et comme esprit, plein de connaissances, en voie de s’élever par la route publique sans être obligé d’aller dans les chemins tortueux de l’intrigue ; enfin, tu connais Adolphe, tu l’as apprécié : je suis aimée, il est père, j’idolâtre nos enfants. Adolphe est excellent pour moi, je l’aime et je l’admire ; mais, ma chère, dans ce complet bonheur, il se trouve une épine. Les roses sur lesquelles je suis couchée ont plus d’un pli. Dans le cœur des femmes, les plis deviennent promptement des blessures. Ces blessures saignent bientôt, le mal augmente, on souffre, la souffrance éveille des pensées, les pensées s’étalent et se changent en sentiment. Ah ! ma chère, tu le sauras, et c’est cruel à se dire, mais nous vivons autant par la vanité que par l’amour. Pour ne vivre que d’amour, il ne faudrait pas habiter Paris. Que nous importerait de n’avoir qu’une robe de percale blanche, si l’homme que nous aimons ne voyait pas d’autres femmes mises autrement, plus élégamment que nous, et inspirant des idées par leurs manières, par un ensemble de petites choses qui font de grandes passions ? La vanité, ma chère, est chez nous cousine-germaine de la jalousie, de cette belle et noble jalousie qui consiste à ne pas laisser envahir son empire, à être seule dans une âme, à passer notre vie tout heureuse dans un cœur. Eh bien ! ma vanité de femme souffre. Quelque petites que soient ces misères, j’ai malheureusement appris qu’il n’y a pas de petites misères en ménage. Oui, tout s’y agrandit par le contact incessant des sensations, des désirs, des idées. Voilà le secret de cette tristesse où tu m’as surprise, et que je ne voulais pas expliquer. Ce point est un de ceux où la