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plus ou moins fatigants, d’horribles privations très-coûteuses à ses parents, il arrive à une certaine position.

Voici quelle est cette position. Grâce à une sorte d’assurance mutuelle des faibles entre eux, et qu’un écrivain assez ingénieux a nommée la camaraderie, Adolphe voit son nom souvent cité parmi les noms célèbres, soit dans les prospectus de la librairie, soit dans les annonces des journaux qui promettent de paraître. Les libraires impriment le titre d’un de ses ouvrages à cette menteuse rubrique : sous presse, qu’on pourrait appeler la ménagerie typographique des ours[1]. On comprend quelquefois Chodoreille parmi les hommes d’espérance de la jeune littérature.

Adolphe de Chodoreille reste onze ans dans les rangs de la jeune littérature : il devient chauve en gardant sa distance dans la jeune littérature ; mais il finit par obtenir ses entrées aux théâtres, grâce à d’obscurs travaux, à des critiques dramatiques ; il essaye de se faire prendre pour un bon enfant ; et à mesure qu’il perd des illusions sur la gloire, sur le monde de Paris, il gagne des dettes et des années.

Un journal aux abois lui demande un de ses ours corrigé par des amis, léché, pourléché de lustre en lustre, et qui sent la pommade de chaque genre à la mode et oublié. Ce livre devient pour Adolphe ce qu’est pour le caporal Trim, ce fameux bonnet qu’il met toujours en jeu, car pendant cinq ans Tout pour une Femme(titre définitif) sera l’un des plus charmants ouvrages de notre époque.

En onze ans, Chodoreille passe pour avoir publié des travaux estimables, cinq à six nouvelles dans des revues nécropoliques, dans des journaux de femmes, dans des ouvrages destinés à la plus tendre enfance.

Enfin, comme il est garçon, qu’il possède un habit, un pantalon de casimir noir, qu’il peut se déguiser quand il le veut en diplomate élégant, qu’il ne manque pas d’un certain air intelligent, il est admis dans quelques salons plus ou moins littéraires ; il salue les cinq ou six académiciens qui ont du génie, de l’influence ou

  1. On appelle un ours une pièce refusée à beaucoup de théâtres, et qui finit par être représentée dans certains moments où quelque directeur éprouve le besoin d’un ours. Ce mot a nécessairement passé de la langue des coulisses dans l’argot du journalisme, et s’est appliqué aux romans qui se promènent. On devrait appeler ours blanc celui de la librairie, et les autres des ours noirs.