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ral… Non, que madame de Sérizy… que… Je ne sais par où commencer…

— Commence par la fin !… dit madame Camusot.

— Eh bien ! au moment où, dans la Chambre du conseil de la Première, monsieur Popinot avait mis la dernière signature nécessaire au bas du jugement de non-lieu rendu sur mon rapport qui mettait en liberté Lucien de Rubempré… Enfin, tout était fini ! le greffier emportait le plumitif ; j’allais être quitte de cette affaire… Voilà le président du tribunal qui entre et qui examine le jugement :

— « Vous élargissez un mort, me dit-il d’un air froidement railleur ; ce jeune homme est allé, selon l’expression de M. de Bonald, devant son juge naturel. Il a succombé à l’apoplexie foudroyante… »

Je respirais en croyant à un accident.

« Si je comprends, monsieur le président, a dit monsieur Popinot, il s’agirait alors de l’apoplexie de Pichegru…

— « Messieurs, a repris le président de son air grave, sachez que, pour tout le monde, le jeune Lucien de Rubempré sera mort de la rupture d’un anévrisme. »

Nous nous sommes tous entre-regardés.

— « De grands personnages sont mêlés à cette déplorable affaire, a dit le président. Dieu veuille, dans votre intérêt, monsieur Camusot, quoique vous n’ayez fait que votre devoir, que madame de Sérizy ne reste pas folle du coup qu’elle a reçu ! on l’emporte quasi morte. Je viens de rencontrer notre procureur général dans un état de désespoir qui m’a fait mal. Vous avez donné à gauche, mon cher Camusot ! » a-t-il ajouté en me parlant à l’oreille.

Non, ma chère amie, en sortant, c’est à peine si je pouvais marcher. Mes jambes tremblaient tant, que je n’ai pas osé me hasarder dans la rue, et je suis allé me reposer dans mon cabinet. Coquart, qui rangeait le dossier de cette malheureuse instruction, m’a raconté qu’une belle dame avait pris la Conciergerie d’assaut, qu’elle avait voulu sauver la vie à Lucien de qui elle est folle, et qu’elle s’était évanouie en le trouvant pendu par sa cravate à la croisée de la Pistole. L’idée que la manière dont j’ai interrogé ce malheureux jeune homme, qui, d’ailleurs, entre nous, était parfaitement coupable, a pu causer son suicide, m’a poursuivi depuis que j’ai quitté le Palais, et je suis toujours près de m’évanouir…