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jouissance en entendant cette musique admirablement exécutée ; il se lève et va pour féliciter Caroline : elle fond en larmes.

— Qu’as-tu ?…

— Rien ; je suis nerveuse.

— Mais je ne te connaissais pas ce vice-là.

— Oh ! Adolphe, tu ne veux rien voir… Tiens, regarde : mes bagues ne me tiennent plus aux doigts, tu ne m’aimes plus, je te suis à charge…

Elle pleure, elle n’écoute rien, elle repleure à chaque mot d’Adolphe.

— Veux-tu reprendre le gouvernement de la maison ?

— Ah ! s’écrie-t-elle en se dressant en pieds comme une surprise, maintenant que tu as assez de tes expériences ?… Merci ! Est-ce de l’argent que je veux ? Singulière manière de panser un cœur blessé… Non, laissez-moi…

— Eh bien ! comme tu voudras, Caroline.

Ce : « Comme tu voudras ! » est le premier mot de l’indifférence en matière de femme légitime ; et Caroline aperçoit un abîme vers lequel elle a marché d’elle-même.





LA CAMPAGNE DE FRANCE.


Les malheurs de 1814 affligent toutes les existences. Après les brillantes journées, les conquêtes, les jours où les obstacles se changeaient en triomphes, où le moindre achoppement devenait un bonheur, il arrive un moment où les plus heureuses idées tournent en sottises, où le courage mène à la perte, où la fortification fait trébucher. L’amour conjugal, qui, selon les auteurs, est un cas particulier d’amour, a, plus que toute autre chose humaine, sa Campagne de France, son funeste 1814. Le diable aime surtout à mettre sa queue dans les affaires des pauvres femmes délaissées, et Caroline en est là.

Caroline en est à rêver aux moyens de ramener son mari ! Caroline passe à la maison beaucoup d’heures solitaires, pendant lesquelles son imagination travaille. Elle va, vient, se lève, et souvent elle reste songeuse à sa fenêtre, regardant la rue sans y rien voir, la figure collée aux vitres, et se trouvant comme dans un désert au