Caroline est là, sur sa causeuse, avec une femme de vos amies à la bonne opinion de laquelle vous tenez excessivement. Du fond de l’embrasure où vous causez entre hommes, vous entendez, au seul mouvement des lèvres, ces mots : Monsieur l’a voulu !… dits d’un air de jeune Romaine allant au cirque. Profondément humilié dans toutes vos vanités, vous voulez être à cette conversation tout en écoutant vos hôtes ; vous faites alors des répliques qui vous valent des : « À quoi pensez-vous ? » car vous perdez le fil de la conversation, et vous piétinez sur place en pensant : « Que lui dit-elle de moi ?… »
Adolphe est à table chez les Deschars, un dîner de douze personnes, et Caroline est placée à côté d’un joli jeune homme appelé Ferdinand, cousin d’Adolphe. Entre le premier et le second service, on parle du bonheur conjugal.
— Il n’y a rien de plus facile à une femme que d’être heureuse, dit Caroline en répondant à une femme qui se plaint.
— Donnez-nous votre secret, madame, dit agréablement monsieur de Fischtaminel.
— Une femme n’a qu’à ne se mêler de rien, se regarder comme la première domestique de la maison ou comme une esclave dont le maître a soin, n’avoir aucune volonté, ne pas faire une observation : tout va bien.
Ceci, lancé sur des tons amers et avec des larmes dans la voix, épouvante Adolphe, qui regarde fixement sa femme.
— Vous oubliez, madame, le bonheur d’expliquer son bonheur, réplique-t-il en lançant un éclair digne d’un tyran de mélodrame.
Satisfaite de s’être montrée assassinée ou sur le point de l’être, Caroline détourne la tête, essuie furtivement une larme, et dit : ─ On n’explique pas le bonheur.
L’incident, comme on dit à la Chambre, n’a pas de suites, mais Ferdinand a regardé sa cousine comme un ange sacrifié.
On parle du nombre effrayant de gastrites, de maladies innommées dont meurent les jeunes femmes.
— Elles sont trop heureuses ! dit Caroline en ayant l’air de donner le programme de sa mort.