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LE DIX-HUIT BRUMAIRE DES MÉNAGES.


Un matin, Adolphe est définitivement saisi par la triomphante idée de laisser Caroline maîtresse de trouver elle-même ce qui lui plaît. Il lui remet le gouvernement de la maison en lui disant : « Fais ce que tu voudras. » Il substitue le système constitutionnel au système autocratique, un ministère responsable au lieu d’un pouvoir conjugal absolu. Cette preuve de confiance, objet d’une secrète envie, est le bâton de maréchal des femmes. Les femmes sont alors, selon l’expression vulgaire, maîtresses à la maison.

Dès lors, rien, pas même les souvenirs de la lune de miel, ne peut se comparer au bonheur d’Adolphe pendant quelques jours. Une femme est alors tout sucre, elle est trop sucre ! Elle inventerait les petits soins, les petits mots, les petites attentions, les chatteries et la tendresse, si toute cette confiturerie conjugale n’existait pas depuis le Paradis Terrestre. Au bout d’un mois, l’état d’Adolphe a quelque similitude avec celui des enfants vers la fin de la première semaine de l’année. Aussi Caroline commence-t-elle à dire, non pas en parole, mais en action, en mines, en expressions mimiques : ─ On ne sait que faire pour plaire à un homme !…

Laisser à sa femme le gouvernail de la barque est une idée excessivement ordinaire, qui mériterait peu l’expression de triomphante, décernée en tête de ce chapitre, si elle n’était pas doublée de l’idée de destituer Caroline. Adolphe a été séduit par cette pensée, qui s’empare et s’emparera de tous les gens en proie à un malheur quelconque, savoir jusqu’où peut aller le mal ! expérimenter ce que le feu fait de dégât quand on le laisse à lui-même, en se sentant ou en se croyant le pouvoir de l’arrêter. Cette curiosité nous suit de l’enfance à la tombe. Or, après sa pléthore de félicité conjugale, Adolphe, qui se donne la comédie chez lui, passe par les phases suivantes.

Première époque. — Tout va trop bien. Caroline achète de petits registres pour écrire ses dépenses, elle achète un joli petit meuble pour serrer l’argent, elle fait vivre admirablement bien Adolphe, elle est heureuse de son approbation, elle découvre une foule de choses qui manquent dans la maison, elle met sa gloire à être