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verts qui ont l’air d’être empruntés à une décoration de vaudeville, les autorités les plus rurales consultées déclarent qu’il faudra dépenser beaucoup d’argent, et ─ attendre cinq années !… Les légumes s’élancent de chez les maraîchers pour rebondir à la Halle. Madame Deschars, qui jouit d’un jardinier-concierge, avoue que les légumes venus dans son terrain, sous ses bâches, à force de terreau, lui coûtent deux fois plus cher que ceux achetés à Paris chez une fruitière qui a boutique, qui paie patente, et dont l’époux est électeur. Malgré les efforts et les promesses du jardinier-concierge, les primeurs ont toujours à Paris une avance d’un mois sur celles de la campagne.

De huit heures du soir à onze heures, les époux ne savent que faire, vu l’insipidité des voisins, leur petitesse et les questions d’amour-propre soulevées à propos de rien.

Monsieur Deschars remarque, avec la profonde science de calcul qui distingue un ancien notaire, que le prix de ses voyages à Paris cumulé avec les intérêts du prix de la campagne, avec les impositions, les répartitions, les gages du concierge et de sa femme, etc., équivalent à un loyer de mille écus ! Il ne sait pas comment lui, ancien notaire, s’est laissé prendre à cela !… Car il a maintes fois fait des baux de châteaux avec parcs et dépendances pour mille écus de loyer.

On convient à la ronde, dans les salons de madame Deschars, qu’une maison de campagne, loin d’être un plaisir, est une plaie vive…

— Je ne sais pas comment on ne vend que cinq centimes, à la Halle, un chou qui doit être arrosé tous les jours, depuis sa naissance jusqu’au jour où on le coupe, dit Caroline.

— Mais, répond un petit épicier retiré, le moyen de se tirer de la campagne, c’est d’y rester, d’y demeurer, de se faire campagnard, et alors tout change…

Caroline, en revenant, dit à son pauvre Adolphe : ─ Quelle idée as-tu donc eue là, d’avoir une maison de campagne ? Ce qu’il y a de mieux, en fait de campagne, est d’y aller chez les autres…

Adolphe se rappelle un proverbe anglais qui dit : « N’ayez jamais de journal, de maîtresse, ni de campagne ; il y a toujours des imbéciles qui se chargent d’en avoir pour vous… »

— Bah ! répond Adolphe, que le Taon Conjugal a définitivement éclairé sur la logique des femmes, tu as raison ; mais aussi, que veux-tu ?… l’enfant s’y porte à ravir.