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invite au roi, ou une renonce. En ce moment, Caroline renonce.

— Qu’as-tu ? dit Adolphe.

— Voulez-vous un verre d’eau et de sucre ? demande Caroline en s’occupant de votre hygiène et prenant (en charge) son rôle de servante.

— Pourquoi ?

— Mais vous n’avez pas la digestion aimable, vous devez souffrir beaucoup. Peut-être faut-il mettre une goutte d’eau-de-vie dans le verre d’eau sucrée ? Le docteur a parlé de cela comme d’un remède excellent…

— Comme tu t’occupes de mon estomac !

— C’est un centre, il communique à tous les organes, il agira sur le cœur, et de là peut-être sur la langue.

Adolphe se lève et se promène sans rien dire, mais il pense à tout l’esprit que sa femme acquiert ; il la voit grandissant chaque jour en force, en acrimonie ; elle devient d’une intelligence dans le taquinage et d’une puissance militaire dans la dispute qui lui rappelle Charles XII et les Russes. Caroline, en ce moment, se livre à une mimique inquiétante : elle a l’air de se trouver mal.

— Souffrez-vous ? dit Adolphe pris par où les femmes nous prennent toujours, par la générosité.

— Ça fait mal au cœur, après le dîner, de voir un homme allant et venant comme un balancier de pendule. Mais vous voilà bien : il faut toujours que vous vous agitiez… Êtes-vous drôles… Les hommes sont plus ou moins fous…

Adolphe s’assied au coin de la cheminée opposé à celui que sa femme occupe, et il y reste pensif : le mariage lui apparaît avec ses steppes meublés d’orties.

— Eh bien ! tu boudes ?… dit Caroline après un demi-quart d’heure donné à l’observation de la figure maritale.

— Non, j’étudie, répond Adolphe.

— Oh ! quel caractère infernal tu as !… dit-elle en haussant les épaules. Est-ce à cause de ce que je t’ai dit sur ton ventre, sur ta taille et sur ta digestion ? Tu ne vois donc pas que je voulais te rendre la monnaie de ton cinabre ? Tu prouves que les hommes sont aussi coquets que les femmes… (Adolphe reste froid.) Sais-tu que cela me semble très-gentil à vous de prendre nos qualités… (Profond silence.) On plaisante, et tu te fâches… (elle regarde Adolphe), car tu es fâché… Je ne suis pas comme toi, moi : je ne peux pas