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Caroline en a bientôt assez du théâtre, et le diable seul peut savoir la cause de ce dégoût. Excusez Adolphe ! un mari n’est pas le diable.

Un bon tiers des Parisiennes s’ennuie au spectacle, à part quelques escapades, comment aller rire et mordre au fruit d’une indécence, ─ aller respirer le poivre long d’un gros mélodrame, ─ s’extasier à des décorations, etc. Beaucoup d’entre elles ont les oreilles rassasiées de musique, et ne vont aux Italiens que pour les chanteurs, ou, si vous voulez, pour remarquer les différences dans l’exécution. Voici ce qui soutient les théâtres : les femmes y sont un spectacle avant et après la pièce. La vanité seule paye du prix exorbitant de quarante francs trois heures de plaisir contestable, pris en mauvais air et à grands frais, sans compter les rhumes attrapés en sortant. Mais se montrer, se faire voir, recueillir les regards de cinq cents hommes !… quelle franche lippée ! dirait Rabelais.

Pour cette précieuse récolte, engrangée par l’amour-propre, il faut être remarquée. Or, une femme et son mari sont peu regardés. Caroline a le chagrin de voir la salle toujours préoccupée des femmes qui ne sont pas avec leurs maris, des femmes excentriques. Or, le faible loyer qu’elle touche de ses efforts, de ses toilettes et de ses poses, ne compensant guère à ses yeux la fatigue, la dépense et l’ennui, bientôt il en est du spectacle comme de la bonne chère : la bonne cuisine la faisait engraisser, le théâtre la fait jaunir.

Ici Adolphe (ou tout homme à la place d’Adolphe) ressemble à ce paysan du Languedoc qui souffrait horriblement d’un agacin (en français, cor ; mais le mot de la langue d’Oc n’est-il pas plus joli ?). Ce paysan enfonçait son pied de deux pouces dans les cailloux les plus aigus du chemin, en disant à son agacin : ─ Troun de Diou ! de bagasse ! si tu mé fais souffrir, jé té le rends bien.

— En vérité, dit Adolphe profondément désappointé le jour où il reçoit de sa femme un refus motivé, je voudrais bien savoir ce qui peut vous plaire…

Caroline regarde son mari du haut de sa grandeur, et lui dit, après un temps digne d’une actrice : ─ Je ne suis ni une oie de Strasbourg, ni une girafe.

— On peut, en effet, mieux employer quatre mille francs par mois, répond Adolphe.

— Que veux-tu dire ?