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comble. Il ajoute du prix à tout par ces délicatesses qui nous impressionnent tant, nous autres femmes… Après m’avoir menée lundi au Rocher de Cancale, il m’a soutenu que Véry faisait aussi bien la cuisine que Borrel, et il a recommencé la partie dont je vous ai parlé, mais en m’offrant au dessert un coupon de loge à l’Opéra. L’on donnait Guillaume Tell, qui, vous le savez, est ma passion.

— Vous êtes bien heureuse, répond madame Deschars sèchement, et avec une évidente jalousie.

— Mais une femme qui remplit bien ses devoirs mérite, il me semble, ce bonheur…

Quand cette phrase atroce se promène sur les lèvres d’une femme mariée, il est clair qu’elle fait son devoir, à la façon des écoliers, pour la récompense qu’elle attend. Au collége, on veut gagner des exemptions ; en mariage, on espère un châle, un bijou. Donc, plus d’amour !

— Moi, ma chère (madame Deschars est piquée), moi, je suis raisonnable. Deschars faisait de ces folies-là[1]…, j’y ai mis bon ordre. Écoutez donc, ma petite, nous avons deux enfants, et j’avoue que cent ou deux cents francs sont une considération pour moi, mère de famille.

— Eh ! madame, dit madame de Fischtaminel, il vaut mieux que nos maris aillent en partie fine avec nous que…

— Deschars ?… dit brusquement madame Deschars en se levant et saluant.

Le sieur Deschars (homme annulé par sa femme) n’entend pas alors la fin de cette phrase, par laquelle il apprendrait qu’on peut manger son bien avec des femmes excentriques.

Caroline, flattée dans toutes ses vanités, se rue alors dans toutes les douceurs de l’orgueil et de la gourmandise, deux délicieux péchés capitaux. Adolphe regagne du terrain ; mais, hélas ! (cette réflexion vaut un sermon de Petit Carême) le péché, comme toute volupté, contient son aiguillon. De même qu’un Autocrate, le Vice ne tient pas compte de mille délicieuses flatteries devant un

  1. Mensonge à triple péché mortel (mensonge, orgueil, envie) que se permettent les dévotes, car madame Deschars est une dévote atrabilaire ; elle ne manque pas un office à Saint-Roch depuis qu’elle a quêté avec la reine.
    (note de l’auteur.)