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regards mouillés et longtemps arrêtés ; elle vous vante, elle se trouve heureuse.

Vous sortez furieux, vous enragez, et vous êtes heureux de rencontrer un ami sur le Boulevard, pour y exhaler votre bile.

— Mon ami, ne te marie jamais ! Il vaut mieux voir tes héritiers emportant tes meubles pendant que tu râles, il vaut mieux rester deux heures sans boire, à l’agonie, assassiné de paroles testamentaires par une garde-malade comme celle que Henri Monnier met si cruellement en scène dans sa terrible peinture des derniers moments d’un célibataire ! Ne te marie sous aucun prétexte !

Heureusement vous ne revoyez plus la sublime jeune fille ! Vous êtes sauvé de l’enfer où vous conduisaient de criminelles pensées, vous retombez dans le purgatoire de votre bonheur conjugal ; mais vous commencez à faire attention à madame de Fischtaminel, que vous avez adorée sans pouvoir arriver jusqu’à elle quand vous étiez garçon.





OBSERVATION.


Arrivé à cette hauteur dans la latitude ou la longitude de l’océan conjugal, il se déclare un petit mal chronique, intermittent, assez semblable à des rages de dents… Vous m’arrêtez, je le vois, pour me dire : ─ « Comment relève-t-on la hauteur dans cette mer ? Quand un mari peut-il se savoir à ce point nautique ; et peut-on en éviter les écueils ? »

On se trouve là, comprenez-vous ? aussi bien après dix mois de mariage qu’après dix ans : c’est selon la marche du vaisseau, selon sa voilure, selon la mousson, la force des courants, et surtout selon la composition de l’équipage. Eh bien, il y a cet avantage que les marins n’ont qu’une manière de prendre le point, tandis que les maris en ont mille de trouver le leur.

Exemples. Caroline, votre ex-biche, votre ex-trésor, devenue tout bonnement votre femme, s’appuie beaucoup trop sur votre bras en se promenant sur le Boulevard, ou trouve beaucoup plus distingué de ne plus vous donner le bras ;

Ou elle voit des hommes plus ou moins jeunes, plus ou moins bien mis, quand autrefois elle ne voyait personne, même quand le