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vous enterrez au fond de votre cœur et de votre conscience une horrible pensée : Caroline n’a pas répondu à votre attente.

Caroline a des défauts qui, par la haute mer de la lune de miel, restaient sous l’eau, et que la marée basse de la lune rousse a découverts. Vous vous êtes heurté souvent à ces écueils, vos espérances y ont échoué plusieurs fois, plusieurs fois vos désirs de jeune homme à marier (où est ce temps !) y ont vu se briser leurs embarcations pleines de richesses fantastiques : la fleur des marchandises a péri, le lest du mariage est resté. Enfin, pour se servir d’une locution de la langue parlée, en vous entretenant de votre mariage avec vous-même, vous vous dites, en regardant Caroline : Ce n’est pas ce que je croyais !

Un soir, au bal, dans le monde, chez un ami, n’importe où, vous rencontrez une sublime jeune fille, belle, spirituelle et bonne ; une âme, oh ! une âme céleste ! une beauté merveilleuse ! Voilà bien cette coupe inaltérable de figure ovale, ces traits qui doivent résister longtemps à l’action de la vie, ce front gracieux et rêveur. L’inconnue est riche, elle est instruite, elle appartient à une grande famille ; partout elle sera bien ce qu’elle doit être, elle saura briller ou s’éclipser ; elle offre enfin, dans toute sa gloire et dans toute sa puissance, l’être rêvé, votre femme, celle que vous vous sentez le pouvoir d’aimer toujours : elle flattera toujours vos vanités, elle entendrait et servirait admirablement vos intérêts. Enfin, elle est tendre et gaie, cette jeune fille qui réveille toutes vos passions nobles ! qui allume des désirs éteints !

Vous regardez Caroline avec un sombre désespoir, et voici les fantômes de pensées qui frappent, de leurs ailes de chauve-souris, de leur bec de vautour, de leur corps de phalène, les parois du palais où, comme une lampe d’or, brille votre cervelle, allumée par le Désir.

Première strophe. — Ah ! pourquoi me suis-je marié ? ah ! quelle fatale idée ! je me suis laissé prendre à quelques écus ! Comment ? c’est fini, je ne puis avoir qu’une femme. Ah ! les Turcs ont de l’esprit ! On voit que l’auteur du Coran a vécu dans le désert !

Deuxième strophe. — Ma femme est malade, elle tousse quelquefois le matin. Mon Dieu, s’il est dans les décrets de votre sagesse de retirer Caroline du monde, faites-le promptement pour son bonheur et pour le mien. Cet ange a fait son temps.