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moraux et physiques, que vous avez la cruauté de dire votre avis brièvement, en conscience ; et vous forcez alors Caroline d’arriver à ce mot décisif, cruel à dire pour toutes les femmes, même celles qui ont vingt ans de ménage :

— Il paraît que je ne suis pas à ton goût ?

Attiré sur le vrai terrain par cette question, vous lui jetez des éloges qui sont pour vous la petite monnaie à laquelle vous tenez le moins, les sous, les liards de votre bourse.

— Cette robe est délicieuse ! ─ Je ne t’ai jamais vue si bien mise. ─ Le bleu, le rose, le jaune, le ponceau (choisissez) te va à ravir. ─ La coiffure est très-originale. ─ En entrant au bal, tout le monde t’admirera. ─ Non-seulement tu seras la plus belle, mais encore la mieux mise. ─ Elles enrageront toutes de ne pas avoir ton goût. ─ La beauté, nous ne la donnons pas ; mais le goût est comme l’esprit, une chose dont nous pouvons être fiers…

— Vous trouvez ? est-ce sérieusement, Adolphe ?

Votre femme coquète avec vous. Elle choisit ce moment pour vous arracher votre prétendue pensée sur telle ou telle de ses amies, et pour vous glisser le prix des belles choses que vous louez. Rien n’est trop cher pour vous plaire. Elle renvoie sa cuisinière.

— Partons, dites-vous.

Elle renvoie la femme de chambre après avoir renvoyé le coiffeur, et se met à tourner devant sa psyché, en vous montrant ses plus glorieuses beautés.

— Partons, dites-vous.

— Vous êtes bien pressé, répond-elle.

Et elle se montre en minaudant, en s’exposant comme un beau fruit magnifiquement dressé dans l’étalage d’un marchand de comestibles. Comme vous avez très-bien dîné, vous l’embrassez alors au front, vous ne vous sentez pas en mesure de contre-signer vos opinions. Caroline devient sérieuse.

La voiture est avancée. Toute la maison regarde madame s’en allant ; elle est le chef-d’œuvre auquel chacun a mis la main, et tous admirent l’œuvre commune.

Votre femme part enivrée d’elle-même et peu contente de vous. Elle marche glorieusement au bal, comme un tableau chéri, pourléché dans l’atelier, caressé par le peintre, est envoyé dans le vaste bazar du Louvre, à l’Exposition. Votre femme trouve, hélas ! cinquante femmes plus belles qu’elle ; elles ont inventé des toilettes