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là, même aujourd’hui, quoique depuis seize ans cette chambre soit sans destination, par suite des changement introduits à Paris dans l’exécution des arrêts de la justice. Voyez-y le criminel en compagnie de ses remords, dans le silence et les ténèbres, deux sources d’horreur, et demandez-vous si ce n’est pas à devenir fou ? Quelles organisations que celles dont la trempe résiste à ce régime auquel la camisole ajoute l’immobilité, l’inaction !

Théodore Calvi, ce Corse alors âgé de vingt-sept ans, enveloppé dans les voiles d’une discrétion absolue, résistait cependant depuis deux mois à l’action de ce cachot et au bavardage captieux du mouton !… Voici le singulier procès criminel où le Corse avait gagné sa condamnation à mort. Quoiqu’elle soit excessivement curieuse, cette analyse sera très rapide.

Il est impossible de faire une longue digression au dénouement d’une scène déjà si étendue et qui n’offre pas d’autre intérêt que celui dont est entouré Jacques Collin, espèce de colonne vertébrale qui, par son horrible influence, relie pour ainsi dire le père Goriot à illusions perdues, et illusions perdues à cette étude. L’imagination du lecteur développera d’ailleurs ce thème obscur qui causait en ce moment bien des inquiétudes aux jurés de la session où Théodore Calvi avait comparu. Aussi, depuis huit jours que le pourvoi du criminel était rejeté par la cour de Cassation, monsieur de Grandville s’occupait-il de cette affaire et suspendait-il l’ordre d’éxécution de jour en jour ; tant il tenait à rassurer les jurés en publiant que le condamné, sur le seuil de la mort, avait avoué son crime.

Une pauvre veuve de Nanterre, dont la maison était isolée dans cette commune, située, comme on sait, au milieu de la plaine infertile qui s’étale entre le Mont-Valérin, Saint-Germain, les collines de Sartrouville et d’Argenteuil, avait été assassinée et volée quelques jours après avoir reçu sa part d’un héritage inespéré. Cette part se montait à trois mille francs, à une douzaine de couverts, une chaîne, une montre en or et du linge. Au lieu de placer les trois mille francs à Paris, comme le lui conseillait le notaire du marchand de vin décédé de qui elle héritait, la vieille femme avait voulu tout garder. D’abord elle ne s’était jamais vu tant d’argent à elle, puis elle se défiait de tout le monde en toute espèce d’affaires, comme la plupart des gens du peuple ou de la campagne. Après de mûres causeries avec un marchand de vin de