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mener dans les champs constellés de l’infini, où l’esprit, ébloui par la multitude des créations, ne peut rien choisir. On le place

— Dans une remise.

— Au grenier.

— Dans un bateau à vapeur.

— Dans la presse.

— Dans une charrette.

— Dans les bagnes.

— Aux oreilles.

— En boutique.

Votre femme vous dit en dernier : ─ Dans mon lit.

Vous y étiez, mais ne savez aucun mot qui aille à cette réponse, madame Deschars n’ayant pu rien permettre d’indécent.

— Qu’en fais-tu ?

— Mon seul bonheur, dit votre femme après les réponses de chacun, qui toutes vous ont fait parcourir le monde entier des suppositions linguistiques.

Cette réponse frappe tout le monde, et vous particulièrement ; aussi vous obstinez-vous à chercher le sens de cette réponse. Vous pensez à la bouteille d’eau chaude enveloppée de linge que votre femme fait mettre à ses pieds dans les grands froids, à la bassinoire, surtout !… — à son bonnet, — à son mouchoir, — au papier de ses papillotes, — à l’ourlet de sa chemise, — à sa broderie, — à sa camisole, — à votre foulard, — à l’oreiller, — à la table de nuit, où vous ne trouvez rien de convenable.

Enfin, comme le plus grand bonheur des répondants est de voir leur Œdipe mystifié, que chaque mot donné pour le vrai les jette en des accès de rire, les hommes supérieurs aiment mieux, en ne voyant cadrer aucun mot à toutes les explications, s’avouer vaincus que de dire inutilement trois substantifs. D’après la loi de ce jeu innocent, vous êtes condamné à retourner dans le salon après avoir donné un gage ; mais vous êtes si excessivement intrigué par les réponses de votre femme, que vous demandez le mot.

— Mal, vous crie une petite fille.

Vous comprenez tout, moins les réponses de votre femme : elle n’a pas joué le jeu. Madame Deschars, ni aucune des jeunes femmes, n’a compris. On a triché. Vous vous révoltez, il y a émeute de petites filles, de jeunes femmes. On cherche, on s’intrigue. Vous voulez une explication, et chacun partage votre désir.