Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/526

Cette page a été validée par deux contributeurs.

dans votre ménage. Vous et votre femme, vous êtes dans une fausse position.

— Comment ! toi, vieux coquin, tu n’as pas eu honte de… ? vous dit un ami sur le boulevard.

— Eh ! bien, oui ! fais-en autant, répliquez-vous enragé.

— Comment, le jour où ta fille ?… mais c’est immoral ! Et une vieille femme ? mais c’est une infirmité !

— Nous avons été volés comme dans un bois, dit la famille de votre gendre.

Comme dans un bois ! est une gracieuse expression pour la belle-mère.

Cette famille espère que l’enfant qui coupe en trois les espérances de fortune sera, comme tous les enfants des vieillards, un scrofuleux, un infirme, un avorton. Naîtra-t-il viable ?

Cette famille attend l’accouchement de votre femme avec l’anxiété qui agita la maison d’Orléans pendant la grossesse de la duchesse de Berri : une seconde fille procurait le trône à la branche cadette, sans les conditions onéreuses de Juillet ; Henri V raflait la couronne. Dès lors, la maison d’Orléans a été forcée de jouer quitte ou double : les événements lui ont donné la partie.

La mère et la fille accouchent à neuf jours de distance.

Le premier enfant de Caroline est une pâle et maigrichonne petite fille qui ne vivra pas.

Le dernier enfant de sa mère est un superbe garçon, pesant douze livres, qui a deux dents, et des cheveux superbes.

Vous avez désiré pendant seize ans un fils. Cette misère conjugale est la seule qui vous rende fou de joie. Car votre femme rajeunie rencontre dans cette grossesse, ce qu’il faut appeler l’été de la Saint-Martin des femmes : elle nourrit, elle a du lait ! son teint est frais, elle est blanche et rose.

À quarante-deux ans, elle fait la jeune femme, achète des petits bas, se promène suivie d’une bonne, brode des bonnets, garnit des béguins. Alexandrine a pris son parti, elle instruit sa fille par l’exemple ; elle est ravissante, elle est heureuse. Et cependant c’est une misère, petite pour vous, grande pour votre gendre. Cette misère est des deux genres, elle vous est commune à vous et à votre femme. Enfin, dans ces cas-là, votre paternité vous rend d’autant plus fier qu’elle est incontestable, mon cher monsieur !