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tait à prendre un parti désespéré en voyant que ses travaux, son esprit, son savoir, sa science des affaires, ne l’avaient amené à rien qu’à fonctionner comme une mécanique au profit des autres, en voyant toutes les places prises, en se sentant arrivé aux abords de l’âge mûr, sans considération et sans fortune, en apercevant de sots et de niais bourgeois remplacer les gens de cour et les incapables de la Restauration, et le gouvernement se reconstituer comme il était avant 1830. Un soir, où il était bien près du suicide, qu’il avait tant poursuivi de ses plaisanteries, et qu’en jetant un dernier regard sur sa déplorable existence, calomniée et surchargée de travaux bien plus que de ces orgies qu’on lui reprochait, il voyait une noble et belle figure de femme, comme on voit une statue restée entière et pure au milieu des plus tristes ruines, son portier lui remit une lettre cachetée en noir, où la comtesse de Montcornet lui annonçait la mort du général, qui avait repris du service et commandait une division. Elle était son héritière ; elle n’avait pas d’enfants. La lettre, quoique digne, indiquait à Blondet que la femme de quarante ans, qu’il avait aimée jeune, lui tendait une main fraternelle et une fortune considérable. Il y a quelques jours, le mariage de la comtesse de Montcornet et de monsieur Blondet, nommé préfet, a eu lieu. Pour se rendre à sa préfecture, il prit par la route où se trouvaient autrefois les Aigues, et il fit arrêter dans l’endroit où étaient jadis les deux pavillons, voulant visiter la commune de Blangy, peuplée de si doux souvenirs pour les deux voyageurs. Le pays n’était plus reconnaissable. Les bois mystérieux, les avenues du parc, tout avait été défriché ; la campagne ressemblait à la carte d’échantillons d’un tailleur. Le paysan avait pris possession de la terre en vainqueur et en conquérant. Elle était déjà divisée en plus de mille lots, et la population avait triplé entre Conches et Blangy. La mise en culture de ce beau parc, si soigné, si voluptueux naguères, avait dégagé le pavillon du Rendez-vous, devenu la villa il Buen-Retiro de dame Isaure Gaubertin ; c’était le seul bâtiment resté debout, et qui dominait le paysage, ou, pour mieux dire, la petite culture remplaçant le paysage. Cette construction ressemblait à un château, tant étaient misérables les maisonnettes bâties tout autour, comme bâtissent les paysans.

— Voilà le progrès ! s’écria Émile. C’est une page du Contrat social de Jean-Jacques ! Et moi, je suis attelé à la machine so-