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dans les hauts et bas des allées glissantes, où la terre est grasse et tapissée de mousse, fait semblant d’avoir peur ou réellement a peur, et se colle à vous, et vous fait sentir une pression involontaire, la fraîcheur de son bras, le poids de son épaule élastique, et qui se met à sourire si l’on vient à lui dire qu’elle empêche de conduire. Le cheval est dans le secret de ces interruptions, il regarde à droite et à gauche.

Ce spectacle nouveau pour la comtesse, cette nature si vigoureuse en ses effets, si peu connue et si grande, la plongea dans une rêverie molle, elle s’accota sur le tilbury et se laissa aller au plaisir, ses yeux étaient occupés, son cœur parlait, elle écoutait cette voix intérieure en harmonie avec la sienne, lorsqu’il la regardait à la dérobée, et il jouissait de cette méditation qui avait dénoué la capote, et qui livrait au vent du matin les boucles et la chevelure avec un abandon voluptueux. Comme ils allaient au hasard, ils arrivèrent à une barrière, et n’en avaient pas la clé ; Joseph vint, pas de clé.

— Eh bien ! promenons-nous, Joseph gardera le tilbury, nous le retrouverons bien…

Emile et la comtesse s’enfoncèrent dans la forêt, et ils parvinrent à un petit paysage intérieur, comme il s’en rencontre souvent dans les bois. Vingt ans auparavant, les charbonniers ont fait là leur charbonnière, et la place est restée battue ; tout y a été brûlé dans une circonférence assez vaste. En vingt ans la nature a pu faire là le jardin de ses fleurs, un parterre pour elle, comme un jour un artiste se donne le plaisir de se peindre un tableau pour lui. Cette délicieuse corbeille est entourée de beaux arbres, dont les têtes retombent en vastes franges, ils dessinent un immense baldaquin à cette couche où repose la déesse. Les charbonniers ont été par un sentier chercher de l’eau dans une fondrière, une mare toujours pleine, où l’eau est pure. Ce sentier subsiste, il vous invite à descendre par un tournant plein de coquetterie, et tout à coup il est déchiré ; ils vous montre un pan coupé où mille racines descendent à l’air en formant comme un canevas de tapisserie. Cet étang inconnu est bordé d’un gazon plat, serré ; il y a des arbres aquatiques, et le banc de gazon que s’est fait un jovial charbonnier. Les grenouilles sautent chez elles, un