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— V’là qu’est dit, reprit La Pouraille, pas un de nous ne sera pour le dab à la manque (pas un de nous ne le trahira), ou je me charge de l’emmener où je vais…

— Il le ferait comme il le dit ! s’écria Fil-de-Soie.

Les gens les moins susceptibles de sympathie pour ce monde étrange peuvent se figurer la situation d’esprit de Jacques Collin, qui se trouvait entre le cadavre de l’idole qu’il avait adorée pendant cinq heures de nuit et la mort prochaine de son ancien compagnon de chaîne, le futur cadavre du jeune Corse Théodore. Ne fût-ce que pour voir ce malheureux, il avait besoin de déployer une habileté peu commune ; mais le sauver, c’était un miracle ! Et il y pensait déjà.

Pour l’intelligence de ce qu’allait tenter Jacques Collin, il est nécessaire de faire observer ici que les assassins, les voleurs, que tous ceux qui peuplent les bagnes ne sont pas aussi redoutables qu’on le croit. À quelques exceptions très rares, ces gens-là sont tous lâches, sans doute à cause de la peur perpétuelle qui leur comprime le cœur. Leurs facultés étant incessamment tendues à voler, et l’exécution d’un coup exigeant l’emploi de toutes les forces de la vie, une agilité d’esprit égale à l’aptitude du corps, une attention qui abuse de leur moral, ils deviennent stupides, hors de ces violents exercices de leur volonté, par la même raison qu’une cantatrice ou qu’un danseur tombent épuisés après un pas fatigant ou après l’un de ces formidables duos comme en infligent au public les compositeurs modernes. Les malfaiteurs sont en effet si dénués de raison, ou tellement oppressés par la crainte, qu’ils deviennent absolument enfants. Crédules au dernier point, la plus simple ruse les prend dans sa glu. Après la réussite d’une affaire, ils sont dans un tel état de prostration, que livrés immédiatement à des débauches nécessaires, ils s’enivrent de vin, de liqueurs, et se jettent dans les bras de leurs femmes avec rage, pour retrouver du calme en perdant toutes leurs forces, et cherchent l’oubli de leur crime dans l’oubli de leur raison. En cette situation, ils sont à la merci de la Police. Une fois arrêtés ils sont aveugles, ils perdent la tête, et ils ont tant besoin d’espérance qu’ils croient à tout ; aussi n’est-il pas d’absurdité qu’on ne leur fasse admettre. Un exemple expliquera jusqu’où va la bêtise du criminel enflacqué. Bibi-Lupin avait récemment obtenu les aveux d’un assassin âgé de dix-neuf ans, en lui persuadant qu’on n’exécutait jamais les mi-