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baigné par les eaux de l’Avonne. L’élégance de cette maison força la Sous-Préfecture, logée provisoirement dans un chenil, à venir en face dans un hôtel que le Département fut obligé de bâtir sur les instances des députés Leclercq et Ronquerolles. La ville y bâtit aussi sa Mairie. Le Tribunal, également à loyer eut un Palais de justice achevé récemment, en sorte que La-Ville-aux-Fayes dut au génie remuant de son maire une ligne de bâtiments modernes fort imposante. La gendarmerie se bâtissait une caserne pour achever le carré formé par la place.

Ces changements dont les habitants s’enorgueillissaient, étaient dus à l’influence de Gaubertin, qui depuis quelques jours, avait reçu la croix de la Légion-d’Honneur à l’occasion de la prochaine fête du roi. Dans une ville ainsi constituée, et de création moderne il ne se trouvait ni aristocratie ni noblesse. Aussi les bourgeois de La-Ville-aux-Fayes, fiers de leur indépendance, épousaient-ils tous la querelle survenue entre les paysans et un comte de l’Empire qui prenait le parti de la Restauration. Pour eux, les oppresseurs étaient les opprimés. L’esprit de cette ville commerçante était si bien connu du gouvernement, que l’on avait mis pour sous-préfet un homme d’un esprit conciliant, l’élève de son oncle, un de ces gens habitués aux transactions, familiarisés avec les exigences de tous les gouvernements, et que les Puritains, qui font pis, appellent des gens corrompus.

L’intérieur de la maison de Gaubertin avait été décoré par les inventions assez plates du luxe moderne. C’était de riches papiers de tenture à bordures dorées, des lustres de bronze doré, des meubles en acajou, des lampes astrales, des tables rondes, de la porcelaine blanche à filets d’or pour le dessert, des chaises à fond de maroquin rouge et des gravures à l’aquatinta dans la salle à manger, un meuble de casimir bleu dans le salon, tous détails froids et d’une excessive platitude, mais qui parurent être à La-Ville-aux-Fayes les derniers efforts d’un luxe sardanapalesque. Madame Gaubertin y jouait le rôle d’une élégante à grands effets, elle faisait de petites façons, elle minaudait à quarante-cinq ans en mairesse sûre de son fait, et qui avait sa cour.

La maison de Rigou, celle de Soudry et celle de Gaubertin ne sont-elles pas, pour qui connaît la France, la parfaite représentation du village, de la petite ville et de la sous-préfecture ?