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— Comment, gendarme, tu ne veux qu’un cheval dans ton écurie ?… Enfin ! chacun prend son bonheur où il le trouve.

Jeannette, sur l’ordre de son maître, alla lui préparer sa toilette.

— Tu lui auras promis de l’épouser à la mort de ta femme ? demanda Rigou.

— A nos âges, répondit le gendarme, il ne nous reste plus que ce moyen-là !

— Avec des filles ambitieuses, ce serait une manière de devenir promptement veuf…, répliqua Rigou, surtout si madame Soudry parlait devant Jeannette de sa manière de savonner les escaliers.

Ce mot rendit les deux époux songeurs. Quand Jeannette vint annoncer que tout était prêt, Soudry lui dit un : — " Viens m’aider ! " qui fit sourire l’ancien bénédictin.

— Voilà encore une différence, dit-il, moi je te laisserais sans crainte avec Annette, mon compère.

Un quart-d’heure après, Soudry, en grande tenue, monta dans le cabriolet d’osier, et les deux amis tournèrent le lac de Soulanges pour aller à La-Ville-aux-Fayes.

— Et ce château-là ?… dit Rigou quand il atteignit à l’endroit d’où le château se voyait en profil.

Le vieux révolutionnaire mit à ce mot un accent où se révélait la haine que nourrissent les bourgeois campagnards contre les grands châteaux et les grandes terres.

— Mais, tant que je vivrai, j’espère bien le voir debout répliqua l’ancien gendarme ; le comte de Soulanges a été mon général ; il m’a rendu service, il m’a très-bien fait régler ma pension, et puis il laisse gérer sa terre à Lupin, dont le père y a fait sa fortune. Après Lupin, ce sera un autre, et tant qu’il y aura des Soulanges, on respectera cela !… Ces gens-là sont bons enfants, ils laissent à chacun sa récolte, et ils s’en trouvent bien…

— Bah ! le général a trois enfants qui, peut-être, à sa mort, ne s’accorderont pas. Un jour ou l’autre, le mari de sa fille et les fils liciteront et gagneront à vendre cette mine de plomb et de fer à des marchands de biens que nous saurons bien repincer.

Le château de Soulanges apparut de profil comme pour défier le moine défroqué.

— Ah ! oui, dans ces temps-là l’on bâtissait bien…, s’écria Soudry. Mais monsieur le comte économise en ce moment ses revenus pour pouvoir faire de Soulanges le majorat de sa pairie !…