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— Ecoute, Marie, moi, j’aime les paysans ; mais il ne faut pas qu’un de vous se mette entre mes dents et une bouchée de gibier… Ton frère Nicolas, comme l’a dit Aglaé, poursuit la Péchina. Ce n’est pas bien, car je la protége cette enfant, elle sera mon héritière pour trente mille francs, et je veux la bien marier. J’ai su que Nicolas, aidé par ta sœur Catherine, avait failli tuer cette pauvre petite, ce matin ; tu verras ce soir ton frère et ta sœur, dis-leur ceci : — Si vous laissez la Péchina tranquille, le père Rigou sauvera Nicolas de la conscription….

— Vous êtes le diable en personne, s’écria Marie, on dit que vous avez signé un pacte avec lui… c’est-il possible ?

— Oui, dit gravement Rigou.

— On nous le disait aux veillées, mais je ne le croyais pas.

— Il m’a garanti qu’aucun attentat dirigé contre moi ne m’atteindrait, que je ne serais jamais volé, que je vivrais cent ans sans maladie, que je réussirais en tout, et que jusqu’à l’heure de ma mort je serais jeune comme un coq de deux ans…

— Ca se voit bien, dit Marie. Eh bien ! il vous est diablement facile de sauver mon frère de la conscription…

— S’il le veut, car il faut qu’il y laisse un doigt, voilà tout, reprit Rigou, je lui dirai comment !

— Tiens ! vous prenez le chemin du haut, dit Marie.

— A la nuit, je ne passe plus par ici, répondit l’ancien moine.

— A cause de la croix, dit naïvement Marie.

— C’est bien cela, rusée ! répondit le diabolique personnage.

Ils étaient arrivés à un endroit où la route cantonale est creusée à travers une faible élévation du terrain. Cette tranchée offre deux talus assez roides, comme on en voit tant sur les routes de France.

Au bout de cette gorge, d’une centaine de pas de longueur, les routes de Ronquerolles et de Cerneux forment un carrefour planté d’une croix. De l’un ou de l’autre talus, un homme peut ajuster un passant et le tuer presque à bout portant, avec d’autant plus de facilité que cette éminencée tant couverte de vignes, un malfaiteur trouve toute facilité pour s’embusquer dans des buissons de ronces venus au hasard. On devine pourquoi l’usurier, toujours prudent, ne passait jamais par là de nuit ; la Thune tourne ce monticule appelé les Clos-de-la-Croix. Jamais place plus favorable ne s’est rencontrée pour une vengeance ou pour un assassinat, car le chemin de Ronquerolles va rejoindre le pont fait sur