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comme vous voyez, sans façon ; mais il en est ainsi de bien des gens illustres qui ont la complaisance de marcher, d’éternuer, de dormir, de manger absolument comme de simples mortels.

Socquard, alcide de naissance, pouvait porter onze cents pesant ; son coup de poing, appliqué dans le dos d’un homme, lui cassait net la colonne vertébrale ; il tordait une barre de fer, il arrêtait une voiture attelée d’un cheval. Milon de Crotone de la vallée, sa réputation embrassait tout le département, où l’on faisait sur lui des contes ridicules comme sur toutes les célébrités.

Ainsi, l’on racontait dans le Morvan, qu’un jour il avait porté sur son dos une pauvre femme, son âne et son sac au marché, qu’il avait mangé tout un bœuf et bu tout un quartaud de vin dans une journée, etc. Doux comme une fille à marier, Socquard, gros petit homme, à figure placide, large des épaules, large de poitrine, où ses poumons jouaient comme des soufflets de forge, possédait un filet de voix dont la limpidité surprenait ceux qui l’entendaient parler pour la première fois.

Comme Tonsard, que son renom dispensait de toute preuve de férocité, comme tous ceux qui sont gardés par une opinion publique quelconque, Socquard ne déployait jamais sa triomphante force musculaire, à moins que des amis ne l’en priassent. Il prit donc la bride du cheval quand le beau-père du procureur du roi tourna pour se ranger au perron.

— Vous allez bien par chez vous, monsieur Rigou ?… dit l’illustre Socquard.

— Comme ça, mon vieux, répondit Rigou. Plissoud et Bonnébault, Viollet et Amaury soutiennent-ils toujours ton établissement ?

Cette demande, faite sur un ton de bonhomie et d’intérêt, n’était pas une de ces questions banales jetées au hasard par les supérieurs à leurs inférieurs. A son temps perdu, Rigou songeait aux moindres détails, et déjà l’accointance de Bonnébault, de Plissoud et du brigadier Viollet avait été signalée par Fourchon à Rigou comme suspecte.

Bonnébault, pour quelques écus perdus au jeu, pouvait livrer au brigadier les secrets des paysans, ou parler sans savoir l’importance de ses bavardages après avoir bu quelques bols de punch de trop. Mais les délations du chasseur à la loutre pouvaient être conseillées par la soif, et Rigou n’y fit attention que par rapport à Plissoud, à qui sa situation devait inspirer un certain désir de