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speech politiques, commenter les événements marquants de la vie privée de toute la vallée, et parler des Aigues, qui défrayaient la conversation pendant une heure tous les jours. C’était la préoccupation de chacun d’apprendre quelque chose sur ce qui s’y passait, et l’on savait d’ailleurs faire ainsi sa cour aux maîtres du logis.

Après cette revue obligée, on se mettait à jouer au boston, seul jeu que sût la reine. Quand le gros père Guerbet avait singé madame Isaure, la femme de Gaubertin, en se moquant de ses airs penchés, en imitant sa petite voix, sa petite bouche et ses façons jeunettes ; quand le curé Taupin avait raconté l’une des historiettes de son répertoire ; quand Lupin avait rapporté quelque événement de La-Ville-aux-Fayes, et que madame Soudry avait été criblée de compliments nauséabonds, l’on disait : " Nous avons fait un charmant boston. "

Trop égoïste pour se donner la peine de faire douze kilomètres, au bout desquels il devait entendre les niaiseries dites par les habitués de cette maison, et voir un singe déguisé en vieille femme, Rigou, bien supérieur, comme esprit et comme instruction, à cette petite bourgeoisie, ne se montrait jamais que si ses affaires l’amenaient chez le notaire. Il s’était exempté de voisiner, en prétextant de ses occupations, de ses habitudes et de sa santé, qui ne lui permettaient pas, disait-il, de revenir la nuit par une route le long de laquelle brouillassait la Thune.

Ce grand usurier sec imposait d’ailleurs beaucoup à la société de madame Soudry, qui flairait en lui ce tigre à griffes d’acier, cette malice de sauvage, cette sagesse née dans le cloître, mûrie au soleil de l’or, et avec lesquels Gaubertin n’avait jamais voulu se commettre.

Aussitôt que la carriole d’osier et le cheval dépassèrent le Café de la Paix, Urbain, le domestique de Soudry, qui causait avec le limonadier, assis sur un banc placé sous les fenêtres de la salle à manger, se fit un auvent de sa main pour bien voir quel était cet équipage.

— V’là le père Rigou !… Faut ouvrir la porte. Tenez son cheval, Socquard, dit-il sans façon au limonadier.

Et Urbain, ancien cavalier qui, n’ayant pu passer gendarme, avait pris le service Soudry comme retraite, rentra dans la maison pour aller manœuvrer la porte de la cour.

Socquard, ce personnage si célèbre dans la vallée, était là,