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heurtées ; mais la fatalité voulait que le Lucullus de Blangy sentît la nécessité de sa solitude pour se rouler à son aise dans l’usure et dans la volupté ; que madame Soudry fût assez intelligente pour comprendre qu’elle ne pouvait régner qu’à Soulanges, et que La-Ville-aux-Fayes fût le siége des affaires de Gaubertin. Ceux qui s’amusent à étudier la nature sociale avoueront que le général de Montcornet jouait de malheur en trouvant de tels ennemis séparés et accomplissant les évolutions de leur pouvoir et de leur vanité, chacun à des distances qui ne permettaient pas à ces astres de se contrarier et qui décuplaient le pouvoir de mal faire.

Néanmoins, si tous ces dignes bourgeois, fiers de leur aisance, regardaient leur société comme bien supérieure en agrément à celle de La-Ville-aux-Fayes, et répétaient avec une comique importance ce dicton de la vallée : " Soulanges est une ville de plaisir et de société, " il serait peu prudent de penser que la capitale avonnaise acceptât cette suprématie. Le salon Gaubertin se moquait, in petto, du salon Soudry. A la manière dont Gaubertin disait : " Nous autres, nous sommes une ville de haut commerce, une ville d’affaires, nous avons la sottise de nous ennuyer à faire fortune ! ", il était facile de reconnaître un léger antagonisme entre la terre et la lune. La lune se croyait utile à la terre et la terre régentait la lune. La terre et la lune vivaient d’ailleurs dans la plus étroite intelligence. Au carnaval, la première société de Soulanges allait toujours en masse aux quatre bals donnés par Gaubertin, par Gendrin, par Leclercq, le receveur des finances, et par Soudry jeune, le procureur du roi. Tous les dimanches, le procureur du roi, sa femme, monsieur, madame et mademoiselle Elise Gaubertin, venaient dîner chez les Soudry de Soulanges. Quand le sous-préfet était prié, quand le maître-de-poste, monsieur Guerbet de Couches, arrivait manger la fortune du pot, Soulanges avait le spectacle de quatre équipages départementaux à la porte de la maison Soudry.


II. Les conspirateurs chez la reine

En débouchant là, vers cinq heures et demie, Rigou savait trouver les habitués du salon de Soudry tous à leur poste. Chez le maire, comme dans toute la ville, on dînait à trois heures, selon l’usage du dernier siècle. De cinq heures à neuf heures, les notables de Soulanges venaient échanger les nouvelles, faire leurs