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contrat de prêt, auquel assistait toujours la femme de l’emprunteur quand il était marié, la somme à laquelle se montaient les intérêts illégaux. Le paysan, ravi de n’avoir que les cinq pour cent à payer annuellement pendant la durée du prêt, espérait toujours s’en tirer par un travail enragé, par des engrais qui bonifiaient le gage de Rigou.

De là les trompeuses merveilles enfantées par ce que d’imbéciles économistes nomment la petite culture, le résultat d’une faute politique à laquelle nous devons de porter l’argent français en Allemagne pour y acheter des chevaux que le pays ne fournit plus, une faute qui diminuera tellement la production des bêtes à cornes que la viande sera bientôt inabordable, non pas seulement au peuple, mais encore à la petite bourgeoisie. (Voyez le Curé de Village.)

Donc, bien des sueurs, entre Couches et La-Ville-aux-Fayes, coulaient pour Rigou, que chacun respectait, tandis que le travail chèrement payé par le général, le seul qui jetât de l’argent dans le pays, lui valait des malédictions et la haine vouée aux riches. De tels faits ne seraient-ils pas inexplicables sans le coup-d’œil jeté sur la Médiocratie ? Fourchon avait raison, les bourgeois remplaçaient les seigneurs. Ces petits propriétaires, dont le type est représenté par Courtecuisse étaient les mains-mortables du Tibère de la vallée d’Avonne, de même qu’à Paris les industriels sans argent sont les paysans de la haute Banque. Soudry suivait l’exemple de Rigou depuis Soulanges jusqu’à cinq lieues de La-Ville-aux-Fayes. Ces deux usuriers s’étaient partagé l’arrondissement. Gaubertin, dont la rapacité s’exerçait dans une sphère supérieure, non seulement ne faisait pas concurrence à ses associés, mais il empêchait les capitaux de La-Ville-aux-Fayes de prendre cette fructueuse route. On peut deviner maintenant quelle influence ce triumvirat de Rigou, de Soudry, de Gaubertin, obtenait aux élections par des électeurs dont la fortune dépendait de leur mansuétude.

Haine, intelligence et fortune, tel était le triangle terrible par lequel s’expliquait l’ennemi le plus proche des Aigues, le surveillant du général, en relations constantes avec soixante ou quatre-vingts petits propriétaires, parents ou alliés des paysans, et qui le redoutaient comme on redoute un créancier.