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Pour le paysan, la main-d’œuvre est peu de chose, surtout en considération d’un ajournement d’intérêts à payer. Ainsi Rigou, tout en demandant de petites primes pour des retards de quelques mois, pressurait ses débiteurs en exigeant d’eux des services manuels, véritables corvées auxquelles ils se prêtaient, croyant ne rien donner, parce qu’ils ne sortaient rien de leurs poches. On payait ainsi parfois à Rigou plus que le capital de la dette.

Profond comme un moine, silencieux comme un Bénédictin en travail d’histoire, rusé comme un prêtre, dissimulé comme tout avare, se tenant dans les limites du droit, toujours en règle, cet homme eût été Tibère à Rome, Richelieu sous Louis XIII, Fouché, s’il avait eu l’intention d’aller à la Convention ; mais il eut la sagesse d’être un Lucullus sans faste, un voluptueux avare. Pour occuper son esprit, il jouissait d’une haine taillée en plein drap. Il tracassait le général comte de Montcornet, il faisait mouvoir les paysans par le jeu de fils cachés dont le maniement l’amusait comme une partie d’échecs où les pions vivaient, où les cavaliers couraient à cheval, où les fous comme Fourchon babillaient, où les tours féodales brillaient au soleil, où la Reine faisait malicieusement échec au Roi. Tous les jours en se levant de sa fenêtre, il voyait les faîtes orgueilleux des Aigues, les cheminées des pavillons, les superbes Portes, et il se disait : — " Tout cela tombera ! je sècherai ces ruisseaux, j’abattrai ces ombrages. " Enfin, il avait sa grande et sa petite victime. S’il méditait la ruine du château, le renégat se flattait de tuer l’abbé Brossette à coups d’épingles.

Pour achever de peindre cet ex-religieux, il suffira de dire qu’il allait à la messe en regrettant que sa femme vécût, et manifestant le désir de se réconcilier avec l’Église aussitôt son veuvage venu. Il saluait avec déférence l’abbé Brossette en le rencontrant, et lui parlait doucement sans jamais s’emporter. En général, tous les gens qui tiennent à l’Église, ou qui en sont sortis, ont une patience d’insecte, ils la doivent à l’obligation de garder un décorum, éducation qui manque depuis vingt ans à l’immense majorité des Français, même à ceux qui se croient bien élevés. Tous les Conventuels que la Révolution a fait sortir de leurs monastères et qui sont entrés dans les affaires ont montré par leur froideur et par leur réserve la supériorité que donne la discipline ecclésiastique à tous les enfants de l’Église, même à ceux qui la désertent.

Eclairé dès 1792 par l’affaire du testament, Gaubertin avait su