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Rigou et au frère Jean, la petite Niseron se permit une espiéglerie fort innocente. En jouant avec Arsène et d’autres enfants à ce jeu qui consiste à cacher chacun à son tour un objet que les autres cherchent et qui fait crier : " Tu brûles ou tu gèles, " selon que les chercheurs s’en éloignent ou s’en approchent, la petite Geneviève eut l’idée de fourrer le soufflet de la salle dans le lit d’Arsène. Le soufflet fut introuvable, le jeu cessa, Geneviève, emmenée par sa mère, oublia de remettre le soufflet à son clou. Arsène et sa tante cherchèrent le soufflet pendant une semaine, puis on ne le chercha plus, on pouvait s’en passer, le vieux curé soufflait son feu avec une sarbacane faite au temps où les sarbacanes furent à la mode, et qui sans doute provenait de quelque courtisan d’Henri III. Enfin, un soir, un mois avant sa mort, la gouvernante, après un dîner auquel avaient assisté l’abbé Mouchon, la famille Niseron et le curé de Soulanges, fit des lamentations de Jérémie sur le soufflet, sans pouvoir en expliquer la disparition.

— Eh ! mais il est depuis quinze jours dans le lit d’Arsène, dit la petite Niseron en éclatant de rire, si cette grande paresseuse faisait son lit, elle l’aurait trouvé…

En 1791, tout le monde put éclater de rire ; mais à ce rire succéda le plus profond silence.

— Il n’y a rien de risible à cela, dit la gouvernante, depuis que je suis malade, Arsène me veille.

Malgré cette explication, le curé Niseron jeta sur madame Niseron et sur son mari le regard foudroyant d’un prêtre qui croit à un complot. La gouvernante mourut. Dom Rigou sut si bien exploiter la haine du curé, que l’abbé Niseron déshérita Jean-Francois Niseron au profit d’Arsène Pichard.

En 1823, Rigou se servait toujours par reconnaissance de la sarbacane pour attiser le feu.

Madame Niseron, folle de sa fille, ne lui survécut pas. La mère et l’enfant moururent en 1794. Le curé mort, le citoyen Rigou s’occupa lui-même des affaires d’Arsène, en la prenant pour sa femme.

L’ancien frère convers de l’Abbaye, attaché à Rigou comme un chien à son maître, devint à la fois le palefrenier, le jardinier, le vacher, le valet de chambre et le régisseur de ce sensuel Harpagon.

Arsène Rigou, mariée en 1821 au Procureur du Roi, sans dot, rappelle un peu la beauté commune de sa mère et possède l’esprit sournois de son père.