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n’est pas indifférent de faire observer que Jacques Collin, vêtu comme un ecclésiastique qui ne s’astreint pas au costume, portait un pantalon noir, des bas noirs, des souliers à boucles en argent, un gilet noir, et une certaine redingote marron foncé, dont la coupe trahit le prêtre quoi qu’il fasse, surtout quand ces indices sont complétés par la taille caractéristique des cheveux. Jacques Collin portait une perruque superlativement ecclésiastique, et d’un naturel exquis.

— Tiens ! tiens ! dit La Pouraille au Biffon, mauvais signe ! un sanglier ! comment s’en trouve-t-il un ici ?

— C’est un de leurs trucs, un cuisinier (espion) d’un nouveau genre, répondit Fil-de-Soie. C’est quelque marchand de lacets (la maréchaussée d’autrefois) déguisé qui vient faire son commerce.

Le gendarme a différents noms en argot : quand il poursuit le voleur, c’est un marchand de lacets ; quand il l’escorte, c’est une hirondelle de la grève ; quand il le mène à l’échafaud, c’est le hussard de la guillotine.

Pour achever la peinture du préau, peut-être est-il nécessaire de peindre en peu de mots les deux autres fanandels, Sélérier, dit l’Auvergnat, dit le père Ralleau, dit le Rouleur, enfin Fil-de-Soie (il avait trente noms et autant de passe-ports), ne sera plus désigné que par ce sobriquet, le seul qu’on lui donnât dans la haute pègre. Ce profond philosophe, qui voyait un gendarme dans le faux prêtre, était un gaillard de cinq pieds quatre pouces, dont tous les muscles produisaient des saillies singulières. Il faisait flamboyer, sous une tête énorme, de petits yeux couverts, comme ceux des oiseaux de proie, d’une paupière grise, mate et dure. Au premier aspect, il ressemblait à un loup par la largeur de ses mâchoires vigoureusement tracées et prononcées ; mais tout ce que cette ressemblance impliquait de cruauté, de férocité même, était contrebalancé par la ruse, par la vivacité de ses traits, quoique sillonnés de marques de petite vérole. Le rebord de chaque couture, coupé net, était comme spirituel. On y lisait autant de railleries. La vie des criminels, qui implique la faim et la soif, les nuits passées au bivouac des quais, des berges, des ponts et des rues, les orgies de liqueurs fortes par lesquelles on célèbre les triomphes, avait mis sur ce visage comme une couche de vernis. À trente pas, si Fil-de-Soie se fût montré au naturel, un agent de police, un gendarme eût re-