Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/396

Cette page n’a pas encore été corrigée

pour trop de monde. On l’accabla bientôt sous l’avalanche de l’oubli, sous ce mot terrible : — " Il n’est content de rien ! " Le mot de ceux qui se sont repus pendant la sédition.

Cet autre paysan du Danube regagna son toit à Blangy, regarda cheoir une à une ses illusions, vit sa république finir en queue d’empereur, et tomba dans une complète misère, sous les yeux de Rigou, qui sut hypocritement l’y réduire. Savez-vous pourquoi ? Jamais Jean-François Niseron ne voulut rien accepter de Rigou. Des refus réitérés apprirent au détenteur de la succession en quelle mésestime profonde le tenait le neveu du curé. Enfin ce mépris glacial venait d’être couronné par la menace terrible dont avait parlé l’abbé Brossette à la comtesse.

Des douze années de la République française, le vieillard s’était fait une histoire à lui, pleine uniquement des traits grandioses qui donneront à ce temps héroïque l’immortalité. Les infamies, les massacres, les spoliations, ce bonhomme voulait les ignorer ; il ne voyait que les dévoûments, le Vengeur, les dons à la patrie, l’élan du peuple aux frontières, et il continuait son rêve pour s’y endormir. La Révolution a eu beaucoup de poëtes semblables au père Niseron qui chantèrent leur poème aux armées, secrètement ou au grand jour, par des actes ensevelis sous les vagues de cet ouragan, et comme sous l’Empire, des blessés oubliés criaient : vive l’Empereur ! avant de mourir. Ce sublime appartient en propre à la France. L’abbé Brossette avait respecté cette inoffensive conviction. Le vieillard s’était attaché naïvement au curé pour ce seul mot dit par le prêtre : " Le Christianisme est la vraie république. " Et le vieux républicain portait la croix, et il revêtait la robe mi-parti de rouge et de noir, et il était digne, sérieux à l’Église, et il vivait des triples fonctions dont l’avait investi l’abbé Brossette qui voulut donner à ce brave homme, non pas de quoi vivre, mais de quoi ne pas mourir de faim.

Ce vieillard, l’Aristide de Blangy, parlait peu, comme toutes les nobles dupes qui s’enveloppent dans le manteau de la résignation ; mais il ne manquait jamais à blâmer le mal ; aussi les paysans le craignaient-ils comme les voleurs craignent la police. Il ne venait pas six fois dans l’année au Grand-I-Vert, quoiqu’on l’y fêtât toujours. Le vieillard maudissait le peu de charité des riches, leur