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— Je dirai à monsieur de vous indemniser de ce surcroît de dépense, reprit la comtesse. Mais ceci ne nous défait pas de Nicolas ? comment y arriverons-nous ?

— Le moyen est tout simple et tout trouvé, répondit Michaud. Nicolas doit passer dans quelques jours au conseil de révision ; au lieu de solliciter sa réforme, mon général, sur la protection de qui les Tonsard comptent, n’a qu’à le bien recommander au prône…

— J’irai, s’il le faut, dit la comtesse, voir moi-même mon cousin de Castéran, notre préfet, mais d’ici là, je tremble…

Ces paroles furent échangées au bout du sentier qui débouchait au rond-point. En arrivant à la crête du fossé, la comtesse ne put s’empêcher de jeter un cri, Michaud s’avança pour la soutenir croyant qu’elle s’était blessée à quelque épine sèche ; mais il tressaillit du spectacle qui s’offrit à ses regards.

Marie et Bonnébault assis sur le talus du fossé, paraissaient causer, et s’étaient sans doute cachés là pour écouter. Evidemment, ils avaient quitté leur place dans le bois en entendant venir du monde et reconnaissant des voix bourgeoises.

Après six ans de service dans la cavalerie, Bonnébault, grand garçon sec, était revenu depuis quelques mois à Couches avec un congé définitif qu’il dut à sa mauvaise conduite, il aurait gâté les meilleurs soldats par son exemple. Il portait des moustaches et une virgule, particularité qui, jointe au prestige de la tenue que les soldats contractent au régime de la caserne, avait rendu Bonnébault la coqueluche des filles de la vallée. Il tenait, comme les militaires, ses cheveux de derrière très-courts, frisait ceux du dessus de la tête, retroussait les faces d’un air coquet, et mettait crânement de côté son bonnet de police. Enfin, comparé aux paysans presque tous en haillons comme Mouche et Fourchon, il paraissait superbe en pantalon de toile, en bottes et en petite veste courte. Ces effets, achetés lors de sa libération, se ressentaient de la réforme et de la vie des champs ; mais le coq de la vallée en possédait de meilleurs pour les jours de fête. Il vivait, disons-le, des libéralités de ses bonnes amies, qui suffisaient à peine aux dissipations, aux libations, aux perditions de tout genre qu’entraînait la fréquentation du Café de la Paix. Malgré sa figure ronde, plate, assez gracieuse au premier aspect, ce drôle offrait je ne sais quoi de sinistre. Il était bigle, c’est-à-dire qu’un de ses yeux ne suivait pas les mouvements de l’autre, il ne