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toutes les forces intellectuelles et physiques ont lancé leur somme de force. C’est une splendeur inouïe, suprême, qui ne jaillit que sous la pression d’un fanatisme, la résistance ou la victoire, celle de l’amour ou celle du martyre. Partie avec une robe à filets alternativement bruns et jaunes, avec une collerette qu’elle plissait elle-même en se levant de bonne heure, l’enfant ne s’était pas encore aperçue du désordre de sa robe souillée de terre, de sa collerette chiffonnée. En sentant ses cheveux déroulés, elle chercha son peigne. Ce fut dans ce premier mouvement de trouble que Michaud, également attiré par les cris, se rendit sur le lieu de la scène. En voyant son Dieu, la Péchina retrouva toute son énergie.

— Il ne m’a pas touchée, monsieur Michaud ! s’écria-t-elle.

Ce cri, le regard et le mouvement qui en furent un éloquent commentaire en dirent en un instant à Blondet et au curé, plus que madame Michaud n’en avait dit à la comtesse sur la passion de cette étrange fille pour le garde-général qui ne s’en apercevait pas.

— Le misérable ! s’écria Michaud.

Et par ce geste involontaire, impuissant, qui échappe aux fous comme aux sages, il menaça Nicolas dont la haute stature faisait ombre dans le bois où il s’engageait avec sa soeur.

— Vous ne jouiez donc pas ? dit l’abbé Brossette en jetant un fin regard à la Péchina.

— Ne la tourmentez pas, dit la comtesse, et rentrons.

La Péchina, quoique brisée, puisa dans sa passion assez de force pour marcher : son maître adoré la regardait ! La comtesse suivait Michaud dans un de ces sentiers connus seulement des braconniers et des gardes, où l’on ne peut pas aller deux de front, mais qui menait droit à la porte d’Avonne.

— Michaud, dit-elle au milieu du bois, il faut trouver un moyen de débarrasser le pays de ce méchant garnement, car cette enfant est sans doute menacée de mort.

— D’abord, répondit Michaud, Geneviève ne quittera pas le pavillon, ma femme prendra chez elle le neveu de Vatel, qui fait les allées du parc, nous le remplacerons par un garçon du pays de ma femme, car il ne faut plus mettre aux Aigues que des gens de qui nous soyons sûrs. Avec Gounod chez nous, et Cornevin le vieux père nourricier, les vaches seront bien gardées…