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peut pas toujours travailler, nous jouions !… Demandez à ma sœur et à la Péchina ?

— Comment vous battez-vous donc, si c’est comme cela que vous jouez ?… s’écria Blondet.

Nicolas jeta sur Blondet un regard d’assassin.

— Parle donc, dit Catherine en prenant la Péchina par l’avant-bras et en le lui serrant à y laisser un bracelet bleu, n’est-ce pas que nous nous amusions ?…

— Oui, madame, nous nous amusions, dit l’enfant épuisée par le déploiement de ses forces et qui s’affaissa sur elle-même comme si elle allait s’évanouir.

— Vous l’entendez, madame, dit effrontément Catherine en lançant à la comtesse un de ces regards de femme à femme qui valent des coups de poignard.

Elle prit le bras de son frère, et tous deux ils s’en allèrent, sans s’abuser sur les idées qu’ils avaient inspirées à ces trois personnages. Nicolas se retourna deux fois, et deux fois il rencontra le regard de Blondet qui toisait ce grand drôle, haut de cinq pieds huit pouces, d’une coloration vigoureuse, à cheveux noirs, crépus, large des épaules, et dont la physionomie assez douce offrait sur les lèvres et autour de la bouche des traits où se devinait la cruauté particulière aux voluptueux et aux fainéants. Catherine balançait sa jupe blanche à raies bleues avec une sorte de coquetterie perverse.

— Caïn et sa femme !… dit Blondet au curé.

— Vous ne savez pas à quel point vous rencontrez juste, répliqua l’abbé Brossette.

— Ah ! monsieur le curé, que feront-ils de moi ? dit la Péchina quand le frère et la sœur furent à une distance où sa voix ne pouvait être entendue.

La comtesse, devenue blanche comme son mouchoir, éprouvait un saisissement tel, qu’elle n’entendait ni Blondet ni le curé, ni la Péchina.

— C’est à faire fuir un paradis terrestre… dit-elle enfin. Mais, avant tout, sauvons cette enfant de leurs griffes.

— Vous aviez raison, cette enfant est tout un poème, un poème vivant ! dit tout bas Blondet à la comtesse.

En ce moment, la Monténégrine se trouvait dans l’état où le corps et l’âme fument, pour ainsi dire, après l’incendie d’une colère où