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dents prestigieuses, la pensée de son front sublime, la fureur de ses narines toujours prêtes à hennir. Aussi l’amour, comme on le conçoit dans les sables brûlants, dans les déserts, agitait-il ce cœur âgé de vingt ans, en dépit des treize ans de l’enfant du Monténégro, qui, semblable à cette cime neigeuse, ne devait ni porter les fleurs du printemps ni se parer des grâces de la jeunesse. Les observateurs comprendront alors que la Péchina, chez qui la passion sortait par tous les pores, réveillât en des natures perverses la fantaisie endormie par l’abus ; de même qu’à table l’eau vient à la bouche à l’aspect de ces fruits contournés, brouis, tachés de noir que les gourmands connaissent par expérience, et sous la peau desquels la nature se plaît à mettre des saveurs et des parfums de choix. Pourquoi Nicolas, ce manouvrier vulgaire, pourchassait-il cette créature digne d’un poète, quand tous les gens de cette vallée en avaient pitié comme d’une difformité maladive ? Pourquoi Rigou, le vieillard, éprouvait-il pour elle une passion de jeune homme ? Qui des deux était jeune ou vieillard ? Le jeune paysan était-il aussi blasé que le vieillard ? Comment les deux extrêmes de la vie se réunissaient-ils dans un commun et terrible caprice ? La force qui finit ressemble-t-elle à la force qui commence ? Les déréglements de l’homme sont des abîmes gardés par les sphinx, ils commencent et se terminent presque tous par des questions sans réponse.

On doit concevoir maintenant cette exclamation : — Piccina !… échappée à la comtesse, quand sur le chemin elle vit Geneviève, l’année précédente, ébahie à l’aspect d’une calèche et d’une femme mise comme madame de Montcornet. Cette fille presque avortée, d’une énergie monténégrine, aimait le grand, le beau, le noble garde-général ; mais comme les enfants de cet âge savent aimer quand elles aiment, c’est-à-dire avec la rage d’un désir enfantin, avec les forces de la jeunesse, avec le dévoûment qui chez les vraies vierges enfantent de divines poésies. Catherine venait donc de passer ses grossières mains sur les cordes les plus sensibles de cette harpe, toutes montées à casser. Danser sous les yeux de Michaud, aller à la fête de Soulanges, y briller, s’inscrire dans le souvenir de ce maître adoré ?… Quelles idées ! les lancer dans cette tête volcanique, n’était-ce pas jeter des charbons allumés sur de la paille exposée au soleil d’août ?

— Non, Catherine, répondit la Péchina, je suis laide, chétive,