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du masque était rachetée par la vivacité, par l’éclat, par la richesse de lumière qui faisaient des yeux de la Péchina deux étoiles. Comme à tous ces yeux pleins de soleil, et qui veulent peut-être des abris puissants, les paupières étaient armées de cils d’une longueur presque démesurée. Les cheveux, d’un noir bleu, fins et longs, abondants, couronnaient de leurs grosses nattes un front coupé comme celui de la Junon antique. Ce magnifique diadème de cheveux, ces grands yeux arméniens, ce front céleste écrasaient la figure. Le nez, quoique fin de forme à sa naissance et d’une courbe élégante, se terminait par des espèces de naseaux chevalins et aplatis. La passion retroussait parfois ces narines et la physionomie prenait alors une expression furieuse. De même que le nez, tout le bas de la figure semblait inachevé, comme si la glaise eût manqué dans les doigts du divin sculpteur. Entre la lèvre inférieure et le menton, l’espace était si court, qu’en prenant la Péchina par le menton, on devait lui froisser les lèvres, mais les dents ne permettaient pas de faire attention à ce défaut. Vous eussiez prêté des âmes à ces petits os fins, brillants, vernis, bien coupés, transparents, et que laissaient facilement voir une bouche trop fendue, accentuée par des sinuosités qui donnaient aux lèvres de la ressemblance avec les bizarres torsions du corail. La lumière passait si facilement à travers la conque des oreilles qu’elle semblait rose en plein soleil. Le teint, quoique roussi, révélait une merveilleuse finesse de chair. Si, comme l’a dit Buffon, l’amour est dans le toucher, la douceur de cette peau devait être active et pénétrante comme la robe de Nessus. La poitrine, de même que le corps, effrayait par sa maigreur ; mais le pied, les mains d’une petitesse provocante, accusaient une puissance nerveuse supérieure, une organisation vivace.

Ce mélange d’imperfections diaboliques et de beautés divines, harmonieux malgré tant de discordances, car il tendait à l’unité par une fierté sauvage ; puis ce défi d’une âme puissante à un faible corps écrit dans les yeux, tout rendait cette enfant inoubliable. La nature avait voulu faire de ce petit être une femme, les circonstances de la conception lui prêtèrent la figure et le corps d’un garçon. A voir cette fille étrange, un poète lui aurait donné l’Yemen pour patrie, elle tenait de l’Afrite et du Génie des contes arabes. La physionomie de la Péchina ne mentait pas. Elle avait l’âme de son regard de feu, l’esprit de ses lèvres brillantées par ses