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— De quoi ? reprit Catherine, il n’y a pas le moindre danger, songe donc à tout ce monde qui est là. Tous les bourgeois nous regardent ! Ah ! c’est de ces jours qui font supporter bien des misères ! Voir ça et mourir, on serait contente !

— Si monsieur et madame Michaud voulaient y venir !… répondit la Péchina l’œil en feu.

— Mais ton grand’père, Niseron, tu ne l’as pas abandonné, ce pauvre cher homme, et il serait bien flatté de te voir adorée comme une reine… Est-ce que tu préfères ces Arminacs de Michaud et autres à ton grand’père et aux Bourguignons ? Ca n’est pas bien de renier son pays. Et puis, après, qu’est-ce que les Michaud auraient donc à dire si ton grand’père t’emmenait à la fête de Soulanges ?… Oh ! si tu savais ce que c’est que de régner sur un homme, d’être sa folie, et de pouvoir lui dire : — Va là ? comme je le dis à Godain, et qu’il y va ! — Fais cela ? et il le fait ! Et tu es atournée, vois-tu, ma petite, à démonter la tête à un bourgeois comme le fils à monsieur Lupin. Dire que monsieur Amaury s’est amouraché de ma sœur Marie, parce qu’elle est blonde, et qu’il a quasiment peur de moi… Mais toi, depuis que ces gens du pavillon t’ont requinquée, tu as l’air d’une impératrice.

Tout en faisant oublier adroitement Nicolas, pour dissiper la défiance dans cette âme naïve, Catherine y distillait superfinement l’ambroisie des compliments. Sans le savoir, elle avait attaqué la plaie secrète de ce cœur. La Péchina, sans être autre chose qu’une pauvre petite paysanne, offrait le spectacle d’une effrayante précocité, comme beaucoup de créatures destinées à finir prématurément, ainsi qu’elles ont fleuri. Produit bizarre du sang monténégrin et du sang bourguignon, conçue et portée à travers les fatigues de la guerre, elle s’était sans doute ressentie de ces circonstances. Mince, fluette, brune comme une feuille de tabac, petite, elle possédait une force incroyable, mais cachée aux yeux des paysans, à qui les mystères des organisations nerveuses sont inconnus. On n’admet pas les nerfs dans le système médical des campagnes.

A treize ans, Geneviève avait atteint toute sa croissance quoiqu’elle eût à peine la taille d’un enfant de son âge. Sa figure devait-elle à son origine ou au soleil de la Bourgogne ce teint de topaze à la fois sombre et brillant, sombre par la couleur, brillant par le grain du tissu, qui donne à une petite fille un air vieux ? La science médicale nous blâmerait peut-être de l’affirmer. Cette vieillesse anticipée