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faible élévation, auprès de la source où elle lui fit reprendre ses sens sous une affusion d’eau froide.

— Où suis-je ?… demanda-t-elle en levant ses beaux yeux noirs par où vous eussiez dit qu’il passait un rayon de soleil.

— Ah ! sans moi, reprit Catherine, tu serais morte…

— Merci, dit la petite encore tout étourdie. Que m’est-il donc arrivé ?

— Tu as buté contre une racine et tu t’es étalée à quatre pas, lancée comme une balle…. Ah ! courais-tu ! tu courais comme une perdue !

— C’est ton frère qui est la cause de cet accident, dit la petite en se rappelant d’avoir vu Nicolas.

— Mon frère ? Je ne l’ai pas aperçu, dit Catherine. Et qu’est-ce qu’il t’a donc fait, mon pauvre Nicolas, pour que tu en aies peur comme d’un loup-garou ? N’est-il pas plus beau que ton monsieur Michaud ?

— Oh ! dit superbement la Péchina.

— Va, ma petite, tu te prépares des malheurs, en aimant ceux qui nous persécutent ! Pourquoi n’es-tu donc pas de notre côté ?

— Pourquoi ne mettez-vous jamais les pieds à l’église ? et pourquoi volez-vous nuit et jour ? demanda l’enfant.

— Te laisserais-tu donc prendre aux raisons des bourgeois ?… répondit Catherine dédaigneusement et sans soupçonner l’attachement de la Péchina. Les bourgeois nous aiment, eux, comme ils aiment la cuisine, il leur faut de nouvelles platées tous les jours. Où donc as-tu vu des bourgeois qui nous épousent, nous autres paysannes ? Vois donc si Sarcus-le-Riche laisse son fils libre de se marier avec la belle Gatienne Giboulard d’Auxerre, qui pourtant est la fille d’un riche menuisier !… Tu n’es jamais allée au Tivoli de Soulanges, chez Socquard, viens-y ? tu les verras là, les bourgeois ! tu concevras alors qu’ils valent à peine l’argent qu’on leur soutire quand nous les attrapons ! Viens donc cette année à la Foire ?

— On dit que c’est bien beau la foire à Soulanges ! s’écria naïvement la Péchina.

— Je vas te dire ce que c’est, en deux mots, reprit Catherine. On y est reluquée quand on est belle. A quoi cela sert-il donc d’être jolie comme tu l’es, si ce n’est pas pour être admirée par les hommes ? Ah ! quand j’ai entendu dire pour la première fois : — " Quel beau brin de fille ! " tout mon sang est devenu du feu. C’était chez