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leur donne plus à manger ; aussi vont-ils aux champs tant que leurs jambes peuvent les porter ; s’ils se couchent, ils savent très-bien que c’est pour mourir, faute de nourriture. Monsieur Sarcus, le juge-de-paix, a dit que si l’on faisait le procès à tous les criminels, l’État se ruinerait en frais de justice.

— Il ne manque pas d’esprit, ce magistrat, s’écria Blondet.

— Monseigneur connaissait bien la situation de cette vallée et surtout cette commune, dit en continuant le curé. La religion peut seule réparer tant de maux, la loi, telle qu’elle est, me semble impuissante…

Le curé fut interrompu par des cris partant du bois, et la comtesse, précédée d’Emile et de l’abbé, s’y enfonça courageusement en courant dans la direction indiquée par les cris.


XI. L’oaristys, XXVIIe églogue de Théocrite, peu goûtée en cour d’assises

La sagacité de Sauvage, que son nouveau métier avait développée chez Michaud, jointe à la connaissance des passions et des intérêts de la commune de Blangy, venait d’expliquer en partie une troisième idylle dans le genre grec que les villageois pauvres comme les Tonsard, et les quadragénaires riches comme Rigou, traduisent selon le mot classique, librement, au fond des campagnes.

Nicolas, second fils de Tonsard, avait amené, lors du tirage, un fort mauvais numéro. Deux ans auparavant, grâce à l’intervention de Soudry, de Gaubertin, de Sarcus-le-Riche, son frère aîné fut réformé comme impropre au service militaire, à cause d’une prétendue maladie dans les muscles du bras droit ; mais comme depuis Jean-Louis avait manié les instruments les plus aratoires avec une facilité très-remarquée, il se fit une sorte de rumeur à cet égard dans le canton. Soudry, Rigou, Gaubertin, les protecteurs de cette famille, avertirent le cabaretier qu’il ne fallait pas essayer de soustraire le grand et fort Nicolas à la loi du recrutement. Néanmoins, le maire de La-Ville-aux-Fayes et Rigou sentaient si vivement la nécessité d’obliger les hommes hardis et capables de mal faire, si habilement dirigés par eux contre les Aigues, que Rigou donna quelque espérance à Tonsard et à son fils. Ce moine défroqué, chez qui Catherine, excessivement dévouée