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placer un fils naturel, ignoré de sa femme et nommé Bournier, tenu depuis longtemps à Paris, sous la surveillance de Leclercq, le voyant devenu prote d’une imprimerie, l’installa maître imprimeur à La-Ville-aux-Fayes. Ce garçon créa, sous l’inspiration de son protecteur, un journal ayant pour titre le Courrier de l’Avonne, paraissant trois fois par semaine, et qui commença par enlever le bénéfice des annonces légales au journal de la Préfecture. Cette feuille départementale tout acquise au Ministère en général, appartenait en particulier au Centre-Gauche. Ce journal, précieux pour la publication des mercuriales des marchés de la Bourgogne, des bois, des vins, devait servir avant tout les intérêts du triumvirat Rigou, Gaubertin et Soudry. A la tête d’un assez bel établissement où il réalisait déjà des bénéfices, Bournier faisait la cour à la fille de Maréchal l’avoué. Ce mariage paraissait probable.

Le seul étranger à la grande famille avonnaise était l’ingénieur ordinaire des Ponts-et-chaussées ; aussi réclamait-on avec instance son changement en faveur de monsieur Sarcus, le fils de Sarcus-le-Riche, et tout annonçait que ce défaut dans le filet serait réparé sous peu de temps.

Cette ligue formidable qui monopolisait tous les services publics et particuliers, qui suçait le pays, qui s’attachait au pouvoir comme un remora sous un navire, échappait à tous les regards, le général Montcornet ne la soupçonnait pas. La Préfecture s’applaudissait de la prospérité de l’arrondissement de La-Ville-aux-Fayes dont on disait au ministère de l’Intérieur : " Voilà une sous-préfecture modèle ! tout y va comme sur des roulettes ! Nous serions bienheureux, si tous les arrondissements ressemblaient à celui-là ! " L’esprit de famille s’y doublait de l’esprit de localité. Là, comme dans beaucoup de petites villes et même de préfectures, un fonctionnaire étranger au pays devenait impossible, il eût été forcé de quitter l’arrondissement dans l’année. Quand le despotique cousinage bourgeois fait une victime, elle est si bien entortillée et bâillonnée, qu’elle n’ose se plaindre ; elle est enveloppée de glu, de cire, comme un colimaçon introduit dans une ruche. Cette tyrannie invisible, insaisissable, a pour auxiliaires des raisons puissantes : le désir d’être au milieu de sa famille, de surveiller ses propriétés, l’appui mutuel qu’on se prête, les garanties que trouve l’administration en voyant son agent sous les yeux