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— Michaud, je vais à la Préfecture ! s’écria-t-il avec une sorte de rage, quand ce ne serait que pour y faire préparer les polices d’assurance. Annonce mon départ à madame la comtesse. Ah ! ils veulent la guerre, ils l’auront, et je vais m’amuser à les tracasser, moi, les bourgeois de Soulanges et leurs paysans… Nous sommes en pays ennemi, de la prudence ! Recommande aux gardes de se tenir dans les termes de la loi. Ce pauvre Vatel, aie soin de lui. La comtesse est effrayée, il faut lui tout cacher ; autrement, elle ne reviendrait plus ici !…

Le général ni même Michaud n’étaient dans le secret de leur péril. Michaud, trop nouvellement venu dans cette vallée de Bourgogne, ignorait la puissance de l’ennemi, tout en en voyant l’action. Le général, lui, croyait à la force de la loi.

La Loi, telle que le législateur la fabrique aujourd’hui, n’a pas toute la vertu qu’on lui suppose. Elle ne frappe pas également le pays, elle se modifie dans ses applications au point de démentir son principe. Ce fait se déclare plus ou moins patemment à toutes les époques. Quel serait l’historien assez ignorant pour prétendre que les Arrêtés du pouvoir le plus énergique ont eu cours dans toute la France ? que les réquisitions en hommes, en denrées, en argent, frappées par la Convention, ont été faites en Provence, au fond de la Normandie, sur la lisière de la Bretagne, comme elles se sont accomplies dans les grands centres de vie sociale ? Quel philosophe oserait nier qu’une tête tombe aujourd’hui dans tel département, tandis que dans le département voisin une autre tête est conservée, quoique coupable d’un crime identiquement le même, et souvent plus horrible ? On veut l’égalité dans la vie, et l’inégalité règne dans la loi, dans la peine de mort ?…

Dès qu’une ville se trouve au-dessous d’un certain chiffre de population, les moyens administratifs ne sont plus les mêmes. Il est environ cent villes en France où les lois jouent dans toute leur vigueur, où l’intelligence des citoyens s’élève jusqu’au problème d’intérêt général ou d’avenir que la loi veut résoudre ; mais, dans le reste de la France, où l’on ne comprend que les jouissances immédiates, l’on s’y soustrait à tout ce qui peut les atteindre. Aussi, dans la moitié de la France environ, rencontre-t-on une force d’inertie qui déjoue toute action légale, administrative et gouvernementale. Entendons-nous ? Cette résistance ne regarde point les choses essentielles à la vie politique. La rentrée des impôts, le recrutement,